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L'obscurité a gagné la route entre Strasbourg et Phalsbourg. Ces routes de campagnes à l'état dérisoire, mais qu'est-ce que j'aime ce trajet. J'aime ce trajet car il est emprunté lors des après-midis à Strasbourg ou en encore les matchs du Racing. Il est presque minuit et nous rentrons d'un incroyable match. Il a fait très froid mais recevoir le PSG à la maison est toujours agréable, notamment quand on arrive à maintenir un score nul. Le stade est un des seuls endroits ou je me sens réellement bien. J'ai l'impression d'être libérée de tout, de ne penser à rien. Je raffole de ces chants de supporters que nous crions tous a tue-tête, de ces claquements de main, de cette euphorie, de cette ambiance, de cette solidarité. Tout me plait. Maman reste silencieuse. Mes écouteurs dans les oreilles, la tête posée sur la fenêtre de la voiture j'observe cette immensité noire et désertique. Nous passons la ville de Saverne et je repense à tous les moments que j'ai passé ici avec Maël. L'euphorie du stade n'est pas continuelle. J'ai hâte d'être à samedi prochain pour pouvoir retourner à la Meinau.
    Mon téléphone vibre. C'est Raph. Alors ? C'était comment le match ? Je lis, une bonne dizaine de fois, je supprime le message et verrouille mon cellulaire. Je ne peux pas, je veux qu'il sorte de ma vie. Je voudrai le bloquer à vie, ne plus jamais le voir. Je reprend mon portable et tape. C'est terminé, je ne veux plus te voir. Il m'appelle. Une fois. Deux fois. Puis trois, puis quatre. J'éteins mon téléphone. Je tremble. Je tremble de peur. J'ai peur de ce qu'il est capable de faire. Je me vide la tête. Je ne pense plus à rien, je ne fais que regarder les étoiles, cette infinité de lumières où se cache sûrement quelque chose pour moi, quelque chose de beau, de sain. Une personne qui comblera le vide, une personne qui m'aidera à évacuer le trop d'accumulation. Une âme sœur. Dans laquelle me refugier lorsque ma vie prend ce sens chaotique. L'âme sœur. La vraie. Je la sens, je sais qu'elle se cache quelque part.
    Nous arrivons à la maison. Maman va se coucher. Je reste au salon. Je m'écroule sur le canapé et mon cerveau ne cesse de relater le mot cocaïne. Je regarde mon téléphone. Il m'a répondu. Sors, je suis dans ta rue. Oh putain. Mon cœur flanche. Et j'aimerai le sentir flancher encore plus sous l'effet de ma fée blanche. Mais je dois le refuser, je ne dois pas y aller. Mon corps me hurle de ne pas le faire, il me supplie de ne plus lui infliger cela mais mon cerveau assimile la cocaïne à quelque chose d'extraordinaire mais surtout comme quelque chose d'indispensable. Guidée par mes horribles instincts, je mets mes chaussures, j'enfile un gilet et je sors, une larme à l'œil.
     - Qu'est ce qui t'arrive ? Tu me fais la tête ?
    - Non Raphaël, je ne te fais pas seulement la tête, je ne peux plus vivre comme ça, tu es en train de me tuer.
    - Franchement t'as raison, tu ne devrai pas t'abîmer autant, surtout pas à ton âge.    
    - ...
    - Mais tu ne vas pas y arriver.
    - Comment ça ?
    - Tu es trop attaché à ça et tu n'arriveras jamais à t'en priver du jour au lendemain. Il faut arrêter progressivement, on va donc encore devoir se voir un petit moment.    
    - Tu déconnes j'espère ?
Il ne me répond pas. Il se contente de verser de la vodka et du soda dans une bouteille d'eau vide et me la tend. Je bois le liquide rapidement. Je n'ai presque rien mangé et les effets de l'alcool devraient se faire sentir rapidement. Il prépare doucement deux rails sur une boîte de CD. Il prend le premier et me tend la boîte.
     - Pourquoi tu m'as laissé le plus gros ?
    - Ils avaient la même taille.    
Je prends alors mon rail et mon cœur frétille immédiatement. Mon nez me pique un peu mais cette sensation me rappelle inlassablement à quel point je suis en vie. J'ai à peine le temps de savourer la douce coulée dans ma gorge que Raph me tend la boite avec un autre rail. Je l'observe, sceptique, et j'enchaine. Mon esprit est tellement vide que je cherche constamment un moyen d'évacuer le trop plein. Ma vie est un paradoxe ambulant. Je cherche sans cesse un moyen de combler ce manque, un manque qui me ronge, un manque qui me creuse, un manque qui s'avère de plus en plus fort mais surtout de plus en plus grand. Les rails s'enchaînent. J'en prends cinq, puis six, puis sept. Je suis défoncée. J'observe un instant mes yeux dans le miroir du rétroviseur. Mes pupilles sont entièrement dilatées. Un noir profond à prit la place de ma couleur verte. Raph prépare mon huitième rail. Il ne m'en donne jamais autant, mais je ne peux lui dire non, c'est plus fort que moi. Je ne peux pas. J'en raffole, j'en veux, encore, toujours plus. Mon cœur suffoque. Il cogne, il n'est plus régulier. Comme j'aimerai qu'il s'arrête. Mourir de cette euphorie, mourir dans ce bonheur fulgurant, dans cette joie épaisse. J'aimerai m'éteindre dans cet ouragan de calme, dans cette tempête qui endort lentement toute ma tristesse. Ces vagues de poisons qui détruisent temporairement ma peine.
Les heures passent. J'espère que maman ne s'est pas réveillée. Il est presque trois heures.
     - On rentre ? Je demande.
Il ne me répond pas. Il se contente de me tendre la bouteille de vodka et de démarrer le moteur. Je bois quelques gorgées. Je fais une grimace. Après quelques minutes de route, nous arrivons déjà sur le parking où nous nous donnons rendez-vous. Il se penche sur moi et commence à m'embrasser le cou. J'ai peur. Je n'ai pas envie, pas ce soir.
     - Raphaël non...
Il continue. Je cris.
     - Stop !    
    - Ne fais pas la rabat joie !
Il me touche l'entre jambe avec sa main gauche et pose sa main droite sur ma bouche. Il sert très fort. Je voudrai le mordre mais je ne peux pas, j'aimerais hurler. Je commence à pleurer. Je pleure en silence. J'ai la sensation que mon être tout entier meurt, à cet instant précis. Je ne peux pas crier, pas hurler, pas me débattre, ni même respirer à ma guise. Je suis prise dans un sanglot long et violent, on ne peut plus douloureux. Je me demande ce que je fais encore ici, quelle putain de force m'attire dans les entrailles de Raph. Mes yeux n'en peuvent plus, mon corps se désintègre, il crie à l'aide. Je ne peux m'empêcher de hoqueter ma peine. Sa main passe sous ma culotte. Ses doigts secs me font atrocement mal, il entre en moi. La douleur me déchire. J'essaie de me dégager. Je sursaute lorsque j'entends son téléphone sonner.
     - Putain ! C'est ma femme, ne dis rien.    
Je sèche mes larmes. Je cherche un mouchoir dans mon sac. J'essaie de remettre ma culotte malgré la douleur. Il y a un peu de sang. Raph à l'air énervé, sa femme semble lui demander de rentrer. Je me sens soulager. J'essaie d'ouvrir la portière, mais le bruit familier de la fermeture centralisée se fait entendre. Je me retourne lentement vers lui, un sourire immonde et maléfique. Il raccroche.
     - Je dois rentrer ma belle. Ce fut un plaisir de passer cette soirée avec toi.    
Il prend ma tête entre ses mains et m'embrasse sur la bouche. Ses lèvres me dégoutent. Il ouvre les portes et je m'empresse de rentrer chez moi.
Il est trois heures quarante. Je suis allongée sur mon lit et l'excès de cocaïne m'empêche de dormir. Alors je pense. Je pense si fort que j'en ai mal à la tête. Je fixe le plafond blanc, et ce pendant des heures. Ma nuit est longue. J'aimerai tant que le jour se lève, pour que je puisse sortir de cette pièce vide, éclairée que par une lumière de lampadaire. J'aimerai sortir de cette atmosphère étouffante. Mais j'aimerai que cette nuit dure toujours. J'aimerai ne plus avoir à affronter le monde, je voudrai être seule, dans cette chambre à pleurer et à brasser du noir toute ma vie.

Un coeur sur la vitreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant