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    Je compose le numéro de Hugo. Il répond dès la première sonnerie. Je suis vraiment décidée à lui dire que je suis malade. Nous avons passé un mois ensemble, et ce fut le plus doux mois de ma vie. Il est l'amour de ma vie, celui avec qui je vivre mes derniers jours, et il doit savoir que mon temps est compté.
- Ça tombe bien que tu m'appelles, je devais te parler, dit-il.
- Ah bon ? Bah vas-y, commence.
- Avant, j'ai parlé avec ma tante, et elle m'a dit un truc qui m'a complètement bouleversé.
Je me demande ce qu'il essaie de me dire.
- Elle m'a dit que je ne pourrai jamais être heureux avec personne puisque j'ai sur me procurer moi-même... l'amour dont j'avais besoin. Toute ma vie j'ai vécu seul et sans personne, et du coup... c'est comme si j'étais condamné à vivre seul... dit-il en butant sur presque chaque mot.
Mon cœur se déchire.
    Il fixe le verre entre ses mains. Le regard vide. Le verre à moitié plein. Nous nous sommes donnés rendez-vous dans un bar afin de clarifier les choses. J'ai les yeux cernés et le visage gonflé.
- Qu'est-ce que tu essaies de me dire ?
- Je ne sais pas...
- Hugo, regarde moi.
Il plonge ses yeux bruns dans les miens. Mon cœur hurle. Une lueur noire luit dans ses pupilles. C'est un homme triste, très triste, seul. En face d'une femme déchue, écorchée, triste également. Nous sommes les mêmes.
- Est-ce que tu veux encore de nous ? De moi ?
- Oui ! Bien sûr...
Je soupire de soulagement.
- Alors on va essayer de régler ça ensemble.
- Non tu ne comprends pas...
Je fronce les sourcils, effectivement je ne comprends pas.
- Explique moi alors.
- Tu as du remarquer que j'étais un peu distant avec toi ces derniers temps, et je sais que ça te fait du mal. Même moi je ne comprends pas pourquoi je suis comme ça, mais je ne suis peut-être pas encore prêt... Enfin je n'en sais rien putain. Je suis vraiment désolé de te décevoir.
Je le regarde, comme pour lui demander si je rêve. Ce n'est pas possible. Je sens ma vision se troubler. Je lève les yeux au ciel, il ne me quitte pas, il s'excuse juste d'être un peu distant ces derniers temps.
- Ce n'est pas grave tu sais.
Je prends sa main posée sur la table. Il s'écarte, la pose sur sa cuisse. Je suis totalement éteinte. Encore plus que lorsqu'il m'a recueilli. Il dit après un long silence.
- Non mais, je préfère être honnête, je l'ai toujours été avec toi, et ça ne veut pas dire que je veux que l'on soit en mauvais termes.
- Non non pas de soucis.
Après une vague de réflexions, je rajoute.
- J'ai besoin que tu me le dises clairement.
Il me questionne du regard. Je lui rends la pareille. Il comprend, rien qu'à la lueur de mes yeux.
- Je vais le dire clairement et cash. On a le choix. Soit on continue en prenant le risque de souffrir encore jusqu'à se détester dans le pire des cas. Soit on arrête, à contre cœur parce que je ne veux vraiment pas te faire de mal. Je sais ce que tu as traversé et c'est hors de questions que je te fasse vivre la même chose.
Je ne pense même plus. Je fixe la table métallique, les lumières du bar qui dansent dans ma vodka.
- Ne pense pas que tu changes à mes yeux, je ne veux juste pas que tu fasses de la merde, et je dis ça pour ton bien, pas pour le mien.
- Je suis assez grande Hugo.
- J'espère bien.
Je lui souris, amèrement.
- Arrête avec ça, ne me fais pas croire que tout va bien.
- Si ça va, dis-je en accentuant ce sourire ridicule.
-...
- Bah non ça ne va pas. Ça ne va même pas du tout. Mais bon, ça arrive, c'est ni la première ni la dernière fois.
Sauf que c'est avec lui que je me voyais finir ma vie, il est mon âme sœur.
- N'agis pas avec moi comme tu le fais avec les autres, dit-il, en haussant la voix.
Il regarde un instant autour de lui, et rectifie.
- Enfin... fais ce que tu veux, je n'ai plus le droit de dire grand-chose.
- Tu n'es pas comme les autres pour moi, tu es même tout l'opposé. Tu es toute ma vie Hugo. Et tu resteras toujours aussi important pour moi.
- C'est de même pour toi.
Une larme coule lentement sur ma joue. Mais mon expression reste neutre. c'est comme si je pleurais sans sentiment. J'ai l'impression que mon âme quitte mon corps. Ce n'est pas possible, je vais me réveiller. Sa voix rauque met mon autodestruction en pause.
- Je vais te dire ce qu'il va se passer. Je ne pensais jamais que ça m'arriverait un jour... mais, c'est quand tu ne pourras plus et que tu partiras pour de bon que j'ouvrirai les yeux. Et je regretterai. Putain je regretterai. Au final, on est tous les mêmes, et je serai seul, sans rien. Parce que je sais qu'avant tu étais là, et que maintenant je n'ai plus rien. Ce jour là, tu ne sauras pas que je regrette, parce que je ne te le dirai pas. Mais sache qu'un jour je le regretterai. Et quand ce jour arrivera, si je reviens par le plus grand des miracles de poser ma fierté de côté, ne me laisse pas revenir parce que je vais à nouveau te faire souffrir et je ne veux plus ça. Rappelle moi que j'avais tout mon temps avant, quand tu étais à mes côtés, que j'ai hésité trop longtemps. Presse là ou ça fait mal pour que je regrette jusqu'à changer. Crois moi ou pas, j'ai juste envie de pleurer. Je sais que je perds quelqu'un d'exceptionnel.
- Tu ne me perdras jamais.
Il soupire. Je ne suis plus à lui. Il n'est plus à moi.
La paille rose glisse le long de mes lèvres. Je la mordille, je suis stressée. Nous n'avons pas prononcé un seul mot. Lorsque nos regards se croisent, je suis prise d'un électrochoc, comme si c'était notre premier rencard alors qu'en fait c'est le dernier. Ma jambe tremble. Je termine mon verre, il termine le sien. Nous marchons lentement vers la sortie du bar, tous deux les mains dans les poches. Nous sommes devant chez moi, la maison est vide. Ma famille est partie en week-end à Paris. Hugo est en face de moi, et il ne sait pas quoi dire. Moi non plus d'ailleurs, dois-je lui faire la bise ? Ou juste rentrer ?
- Je t'aime.
Il se fige. Ses yeux bruns me regardent, ébahis.
- Tu quoi ?
- Je t'aime.
Comme s'il n'avait pas l'air de comprendre, il me fixe, intensément. Mon cœur est noir. Il est revenu à son état initial, voire pire. Il est encore plus sombre. Mes pensées forment un vacarme douloureux, et son silence m'est si lourd. J'ai passé la totalité de notre relation à commettre les actes nécessaires tout en niant l'évidence. Et c'est en balance que mon âme a trouvé sa délivrance dans sa chaleur. La beauté de ses gestes sur l'océan de ma peine, je vogue. Au fond, il y a trop peu de solution pour trop de causes. Je contemple alors la magnificence de cette souffrance éternelle, la perpétuité de cette douleur vive, triste accompagnatrice de mon âme vagabonde. Je suis perdue dans mon propre monde, pour seule compagnie, le néant. Un néant aussi noir que mes yeux qui le contemplent. Une profondeur aussi vaste que la tristesse qui me ronge, que cette maladie incurable. Pourquoi l'aimer autant pour si peu ? Il est, à vrai dire, la seule personne de ce monde ayant été capable de combattre les vieux démons qui logent au creux de mon âme. Une tumeur que je voyais éternelle il y a encore quelques semaines. Et tout a disparu, momentanément à son arrivée. Et j'aurai dû écouter ma première impression qui me dictait de ne jamais tomber amoureuse de lui. Et cette intuition rimait comme une évidence, comme une question à laquelle on répond instinctivement tant la réponse semble logique. Mais il a fallu que mon cœur s'aventure dans les périples de l'interdit de mon esprit. Et putain comme je regrette. Tant de choses, de moments, d'actes, de paroles, d'envie, d'un amour naissant, d'un amour si fort, le tout soldé par un simple « ce n'était rien ». Ma chute dans les abysses est si forte, depuis qu'il a fait une perquisition dans ma vie et bordel tout allait mieux. Mais il a encore une fois fallu que la raison soit ignorée. J'ai beau dire à ceux que je réconforte que la douleur d'aujourd'hui sera systématiquement moins forte demain. J'ai de plus en plus tendance à perdre espoir, et ça me terrifie. J'ai peur parce que pour la toute première fois, je préfère mourir que de vivre sans lui. Son regard n'a pas changé. Une goutte tombe sur la manche de ma veste. Je pleure. Je m'approche de lui, doucement, et je m'effondre dans ses bras. Tout ce que j'ai accumulé ce soir se déverse sur son épaule. Je pleure, je sanglote. Je ne contrôle plus ma respiration. Je voudrai crier, lui hurler à quel point je l'aime. Mais je me contente de miroiter son silence. Seuls ses gestes me parlent, il me caresse la tête, puis le dos, il colle son visage contre le mien, il m'aide à me calmer, il m'apaise. Je soupire lentement. Je me retire de son emprise et je le regarde dans les yeux. Et je me rends compte que depuis le début, je m'étais trompée. Je vois dans son regard, dans ses pupilles, dans ses iris, un vaste univers qui se dresse, bombé d'étoiles, de planètes, de galaxies infinies, sans fins. Il s'y déroulait le moindre de mes souffles, mes battement de cœur en harmonie avec le mouvement des trous noirs. Hugo est mon propre trou noir. Il a littéralement dévoré la totalité de mon libre arbitre. En le regardant, je vois ce monde s'étendre, à une vitesse phénoménale. Je sens mon être s'imprégner de lui. Je voyage dans son propre regard, dans ses yeux, dans ce monde qui fait tituber le mien. Je me sens voyager dans son corps, dans son âme, en explorant la beauté de ses songes. Il se mord la lèvre inférieur. Il s'approche doucement de moi, puis il m'embrasse. Sa bouche est délicieuse. Mon esprit explose. Il s'installe encore un peu plus en moi. Je l'embrasse encore plus fort. Je le sens monter, je sens sa chaleur grandir, s'étendre. Ses mains parcourent mon dos. Je le tire par le bras, j'ouvre violemment la porte et je renverse Hugo sur le canapé. Nous nous déshabillons, et tout se déroule comme si nous étions encore ensemble.
Je fixe le plafond, il n'est plus là, et il ne le sera plus. Je ne me suis pas rhabillée. Mon corps dénudé gis sur le tapis du salon, avec un plaid qui ne me couvre que jusqu'au bas ventre. La lumière jaunâtre donne une ambiance chaleureuse à la pièce, les ombres flamboyantes de la cheminée en feu ma rassure un peu. La chaleur me fait du bien. Il n'y a aucun bruit. Je n'entends que le bruit du bois qui brûle, qui hurle sous l'effet des flammes. Ma position permet aussi de distinguer les battements de mon cœur. Je ne sais pas si c'est normal, mais ils ont toujours été irréguliers. Hugo n'est plus là, il ne le sera plus, il n'est plus à moi.

Un coeur sur la vitreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant