Où est-il ? Je le cherche du regard. Je suis à la vie scolaire, nous somme jeudi matin, huit heures. Nous avons notre premier rendez-vous. J'ai les mains qui tremblent. Nous allons être seuls, tous les deux ? Ou avec la CPE peut-être ? Voilà cinq minutes que je l'attends. Je prends mon téléphone et...
- Le téléphone est interdit dans l'établissement, rouspète un surveillant.
Je veux écrire à Julia pour lui faire part de mon stress. J'entends la porte d'entrée. Il est là.
- Bonjour Mia.
Son sourire, encore.
- Bonjour.
- Il y a une salle de libre pour une heure ?
Le surveillant regarde son ordinateur et il nous donne la clef de la salle cinq cent cinq.
- Merci.
Nous marchons dans les couloirs. Je suis gênée. Je me sens maigre, mal habillée.
- Comment tu vas Mia ?
- Pas si bien que ça...
Évidement, en entrant dans le hall, nous croisons Alexia et toute sa bande. Putain comme je les déteste. Elles me dévisagent avec leur yeux de chiennes en chaleur, mais en même temps je me sens en sécurité aux côtés de monsieur Parrieux. Nous les croisons, et j'entends leurs chuchotements.
- Tu vois, je t'avais dit qu'elle se tapait les profs pour des bonnes notes.
Elles rigolent. Elles méritent tous une bonne claque dans leurs salles gueules de pourries gâtées. Ces filles ont tout ce qu'elles veulent. Elles ne connaissent rien à la douleur, si ce n'est la mort de leur hamster. Nous arrivons devant la salle. Il l'ouvre.
- Tu as vu le match de Strasbourg hier soir ?
- Oui, contre Marseille, c'était génial.
Nous nous installons. Nous sommes seuls dans la salle où j'ai mes cours de mathématiques.
- Mia, explique moi clairement comment ça se passe au lycée.
- Au lycée ? Vous n'imaginez même pas le courage que ça me demande de me lever tous les jours pour affronter le regard des gens, leurs mots, leurs paroles. J'ai peur du moindre geste, je fais attention à mon moindre souffle, tout ça parce que je sais que je vais être jugée, même détruite pour une toute petite erreur, pour le moindre faux pas de ma part. Au fond, je sais comme ils me voient tous, et comme ils m'ont toujours vu. C'est comme si leurs mots m'entaillaient les veines, chaque jours, ils trouvent tout le temps quelque chose de différent. Chaque matin j'ai le droit à une nouvelle rumeur. Chaque soir, une nouvelle personne s'y met. Ils sont de plus en plus nombreux. Ça va des simples insultes, des mots jetés, aux coups, aux bousculades, ou alors parfois ils me claquent même la porte au nez. Vous voyez où je veux en venir ? C'est ce genre de petit guerillas que personne ne voit, ni vous, ni mes amis, ni ma famille. Tout cela semble être normal, pour tout le monde. C'est comme si les gens se disaient qu'il faut de toutes façons un souffre douleur, donc pourquoi pas choisir le plus faible ? Dans ce cas, la toxico, l'alcoolique, la dépressive. Parce que oui, tout ça se voit, à mes yeux, ma posture, mon comportement, mes paroles. Tout dans mon attitude me trahit, sans cesse, mais malgré ça, personne ne voit vraiment que ça ne va pas.
- Et tu as quand même des amis non ?
- Pour vous avouer, à part Julia, Zoé et Anaïs, non pas vraiment... et même avec elles je ne me sens pas moi-même. Je me sens de plus en plus rejetée. Je suis dur en vers moi-même. Puisque à chaque altercation, j'ai l'impression que tout est de ma faute, que je ne suis pas assez bien pour elles, que je ne suis bien pour personne en fait.
- Il y a tout de même des moments où tu te sens bien ?
- Oui. En soirée, avec des gens que je connais à peine. Quand je suis défoncée, que les autres le sont aussi. Là je suis bien, je suis moi.
Il me regarde. J'évite au maximum son visage. Je suis gênée.
- Et à la maison ?
- C'est l'horreur.
- Explique moi ?
- Je rentre et j'entends crier, ils sont tout le temps énervés, à cran. Je dois souvent me faire à manger parce que, soit ma mère ne le fait pas, soit quand j'arrive, ils ont tout mangé et ne m'ont rien laissé. Mon beau-père est de mauvaise humeur, constamment. Il se dispute avec ma mère, sans répit.
- Pourquoi cette ambiance ?
- C'est ma sœur, Lola. Elle a douze ans maintenant. Elle ne respecte personne, elle répond toujours, elle a des difficultés à l'école. Et tout ça, mon beau-père ne le supporte pas. Donc, ils se prennent la tête, ma mère n'intervient jamais. Lola et Ethan, mon beau-père, peuvent tout faire. Lola peut faire toutes les bêtises qu'elle veut, il n'y a que Ethan qui lui dit quelque chose. Et de l'autre côté, Ethan va nous engueuler toutes les deux parce qu'on a parlé un peu trop fort, maman ne dira rien. J'en peux plus de cette atmosphère.
Il réfléchi, son regard se perd dans le vide de la salle.
- Tu m'as parlé de soirée, de « défonce » si je reprends tes thermes. Que veux-tu dire par là ?
Je me lance.
- Et bien... depuis ma rupture, il y a huit mois, j'ai trouvé pour seul remède à mes blessures, des substances toxiques...
Il me regarde, l'air de me dire de continuer.
- Je suis alcoolique.
Il ne dit toujours rien.
- Je fume du cannabis, et cette été j'ai même pris de la cocaïne.
Ses yeux ronds me scrutent. Je suis horriblement gênée.
- Pourquoi Mia ?
- Ma vie est un enfer monsieur. Comme je vous l'ai dit dans ma lettre, je n'arrive plus.
- Tu en as parlé à ton père ?
Ces mots résonnent en moi. Ma tête n'arrive pas, n'arrive plus à cautionner ce mot. Une douleur me brûle la totalité de l'abdomen. Papa. Peut-être qu'au fond, tout vient de là. Je raconte alors tout à monsieur Parrieux, dans les moindres détails. Je passe dix minutes à parler de mon enfance, de mon quotidien. L'heure se termine bientôt, et après mon énorme récit, il me dit.
- Nous n'allons pas traiter la substances, les produits que tu consommes. Nous allons attaquer la cause. Et pour que tout commence à aller mieux, on va commencer par faire du lycée, un endroit où te sens bien.
- Tout le monde me déteste monsieur.
- Tu vas me faire une liste, de tous les élèves qui sont témoins ou acteurs de ton mal être par rapport au harcèlement. Je m'assurerais personnellement qu'ils soient tous convoqués chez le proviseur. Et si, avec tout cela ça ne change pas, on va attaquer avec la justice. Ça te convient ?
Je voudrais le hurler. Oui putain oui. Je voudrais lui crier qu'il est le premier à me prendre au sérieux, qu'il est le premier à vouloir m'aider.
- Ça me va.
- Bien. Nous avons terminé pour aujourd'hui. Je te laisse rejoindre ton cours suivant, on se voit plus tard dans la journée.
Je souris et je me lève de ma chaise. Il m'observe. Et pose sa main sur mon épaule.
- Je suis là, tout ira bien.
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Un coeur sur la vitre
ActionJe dénonce dans ce témoignage, le viol, les violences parentales, le harcèlement scolaire, les addictions en tout genre... Mon but étant de sensibiliser les gens, de les sortir de leur ignorance et surtout de les aider. D'aider ceux qui sont passés...