Voilà quelques semaines que je n'ai pas de nouvelles de Karl ou Jérôme. J'ai donc décidé de changer mon cercle d'amis. Je me suis considérablement rapprochée d'un homme de vingt-et-un ans nommé Julien. Il ne l'admet pas, mais il est alcoolique lui aussi. Sa voix extravagante m'agace, mais au fond, je passe mon temps avec lui et ses amis car je peux consommer des quantités démesurées d'alcool, et ce, gratuitement. Julien habite dans le sud de la France, il est revenu pour les vacances d'été. Nous sommes début août, et je passe maintenant toutes mes journées avec ces hommes, à picoler et à fumer des joints.
Je marche en direction du banc où nous avons l'habitude de nous retrouver. J'ai dit à maman que j'allais voir Julia. Si seulement elle savait. Je m'approche doucement et j'aperçois les cheveux roux de Julien, et la démarche de Gaëtan.
- Salut les gars !
Je me sers une canette de bière, et nous commençons à parler, de tout et de rien. Les heures passent, ma tête commence à tourner. Deux hommes se sont joints à nous, et nous buvons tous à outrance. Perdue au milieu des conversations, je me demande si je vais mourir ce soir. Overdose peut être ? Ou bien je tomberais dans le canal, complètement ivre, ou alors une voiture me renverserait. Il y a tellement de façons de mourir. Chaque seconde, la mort passe devant mes yeux. Chaque atome de la fumée blanche qui s'échappe de ma bouche, me rappelle irrévocablement que ma vie n'est qu'un grain de sable misérable. Le goût du cannabis est tellement doux sur ma langue. Sa vapeur envoûtante plonge mon cerveau dans un monde, bien différent du leur. Tout le monde rigole autour de moi. Moi aussi. Mais à l'intérieur je souffre. Je souffre comme personne n'a jamais souffert. J'avais tant besoin de liberté que mon seul moyen de pouvoir me libérer était de m'enfermer dans ces vis infernaux. Julien est très collant avec moi. Il m'embrasse la joue, il me frôle la cuisse, il fait des allusions assez galantes à mon égard dois-je dire. Mais ce n'est que du matériel. Il essaie sûrement de tirer un coup. Mais moi j'ai besoin qu'on m'aime.
- Putain Mia, si tu avais mon âge... dit-il.
- Oui bah quoi ?
- Tu es tellement belle et bien formée, j'ai hâte de te voir à tes vingt ans !
Au fond, cela me fait plaisir. Ma confiance en moi se résume au néant, à cause de toutes les insultes que j'ai subi au collège, à cause de l'indifférence de ma mère, à cause de tous ceux qui m'ont planté des couteaux dans le dos alors que j'étais déjà à terre. Le soleil se couche, je reçois un message de maman « Tu ne rentres pas avant minuit. » Putain il est déjà vingt deux heures quinze. J'ai encore trente minutes de marche dans la forêt pour rentrer. Je me dépêche de finir mon énième canette et je m'en reprends une. Gaëtan me tend un troisième joint. Je tire dessus à fond. Jusqu'à ne plus sentir mes membres. Le temps d'un instant, je me demande ce que je fais ici. Il y a exactement un an, j'étais une fille normale, dans les bras de Maël, devant un match de foot. Et là, je me retrouve avec des mecs de dix ans de plus que moi, à boire, à fumer. Comment cela peut-il être pire ? J'évolue dans un environnement toxique, qui ne fait que me mettre à terre. J'ai l'impression d'être sous l'eau. Ma défonce devient désagréable. Quand je ferme les yeux, j'ai l'impression que je vais tomber. Merde. Des couleurs abstraites troublent ma vision, et se cognent dans les coins de ma tête.
- Mia ça va ? T'es complètement défoncée !
Je souris, amèrement. J'ai envie de vomir. J'essaie de me lever. Chaque fois que mes paupières se ferment c'est le chaos. Mon cerveau bouge, j'en suis persuadée. Mon corps reste immobile. Mais mon subconscient fait des mouvements, de va et viens. Comme s'il partait en arrière, et revenait au point de départ. Et ce, en continue. Je vais gerber. Je me lève du banc et cours dans l'herbe. Je m'appuie contre un arbre et je vomis les trois litres de bière que j'ai bu. Ma tête tourne encore. Putain la honte, devant tout le monde en plus. C'est une de mes plus grandes phobie ; vomir en public. Après dix minute je rejoins mes amis, totalement vidée. Je me sens tellement mal.
- Je vais rentrer, dis-je avec une voix pâteuse.
Je prends mon sac, mon téléphone et je pars sans rien dire.
J'avance dans le noir, dans cette forêt entre Lutzelbourg et Phalsbourg. Il me reste quinze minutes de marche. Je ne vais toujours pas mieux. Je m'arrête un instant, au beau milieu de nul part. Je m'écroule par terre et je vomis encore. Comme je déteste vomir. Je prie pour qu'aucune voiture ne passe à ce moment là. Après sept minutes je continue ma route, presque ivre morte. Papa me manque. Maël me manque. Maman me manque. L'amour me manque. Ma vie me manque. Je manque de tomber une bonne dizaine de fois. Mais j'arrive tout de même devant la porte du garage. Putain il est une heure et demi, c'est pas possible ! Je dois faire preuve de la plus grande des vigilances. Ma tête tourne encore. Je ne comprends pas. Je ne comprend pas ce qu'il y a d'aussi excitant à se rendre aussi mal. Et pourtant je recommence à chaque fois. Je n'arrive pas à concevoir, ce problème, ce truc qui ne tourne pas rond chez moi. C'est comme si, je me jetais dans les bras de la faucheuse. Le peu de conscience qu'il me reste me prie d'arrêter tout ça, de tout plaquer, de prendre un nouveau départ. Mais pourquoi je suis aussi attachée à ce que je déteste ?
VOUS LISEZ
Un coeur sur la vitre
ActionJe dénonce dans ce témoignage, le viol, les violences parentales, le harcèlement scolaire, les addictions en tout genre... Mon but étant de sensibiliser les gens, de les sortir de leur ignorance et surtout de les aider. D'aider ceux qui sont passés...