Aujourd'hui c'est la rentrée. Ma rentrée au Lycée m'effraie. Je ne pourrai plus consommer tous les jours. Cet été a bien été le pire de ma vie. J'ai gardé le numéro de Raph et j'espère que nous allons nous voir le week-end. Je regarde par la fenêtre de ma chambre, il fait nuit. J'aime cette obscurité. C'est un paradoxe car c'est tout ce noir qui me donne envie de consommer, encore. J'ai développé un amour pour la nuit sur-dimensionné. Je sais très bien que seules les personnes sombres psychiquement vivent à cette période. Et depuis cet été j'en fais parti.
Je me prépare. Je n'ai pas vu Julia depuis ces deux mois. Nous avons un peu perdu contact, elle ne sait pas tout, mais certaines nouvelles ont tout de même circulé. Mon arrivée au Lycée se fera avec cette nouvelle réputation de toxico, d'une fille qui couche avec une dizaine de gars en soirée, mais c'est comme ça et pas autrement.
Je n'ai plus consommé quelconque substance depuis deux jours. Mon humeur commence à varier. Ma mâchoire se contracte, ma salive se met à manquer, j'ai la bouche pâteuse. Mes membres tremblent de plus en plus. Tous ces symptômes horrible de la dépendance physique. Par moment, j'ai cette sensation de manquer d'oxygène, ma respiration devient insuffisante. J'ai les larmes aux yeux en continue, mes pensées varient, je peux rire aux éclats comme penser au suicide la seconde d'après. Tout mon être me fait comprendre que ces deux jours de sobriété ne vont pas. Tout mon être en désire plus, encore plus, toujours plus. Alors que je dois masquer ce manque, je ne dois rien laisser paraître. J'ai peur que Julia et toute la bande, toute ma classe voire tout le lycée découvre qui je suis réellement. Je suis complètement affolée du fait qu'ils se rendent compte qu'ils ne me jugent pas pour rien, que je suis la moins que rien qu'ils prétendent que je suis. J'ai peur parce qu'aujourd'hui, je ne peux endurer aucune défaillance sociale. Je sais que le moindre regard de travers m'anéantirait. Mais je n'ai pas à m'inquiéter. Tant que je reste avec Julia, tout ira bien. Je sais, je lui fais confiance. Je suis persuadée qu'elle ne me fera rien de la sorte.
Mon cours d'espagnol se passe. Dans le silence, dans mes songes obscures qui ne demandent qu'une chose : drogue. Je suis seule, seule avec mes pensées et ça me tue. Cette solitude qui s'empare de moi chaque fois que je suis loin de Julia. Cette solitude qui me force à confronter mes peurs les plus enfouies. J'ai réussi à vivre avec le fait que personne dans ce foutu Lycée ne m'aime en sois, j'arrive à me convaincre qu'avoir deux ou trois amis suffisent, lorsqu'ils sont toujours là pour moi et qu'ils ne suivent pas les moqueries des autres.
La sonnerie retenti et je m'empresse de quitter la salle. Tout en reprenant les habitudes de l'année dernière, je me rends où Julia et le reste ont l'habitude d'être. Mais je suis prise de vertiges. Je me rattrape alors sur la rampe d'escalier. Les marches tournent, mon appui n'est pas stable, mon bras ne fait que trembler. Et tout le monde passe, me regarde, rigole. Il me faut une dizaine de seconde avant que je ne reprenne mes esprits. Je m'arrête aux toilettes pour boire un peu d'eau.
Je les vois au loin. Je vois qu'ils me regardent. J'ai horreur de ça. Car au fond de moi, je sais ce qu'ils pensent de moi. Je sais qu'ils pensent tous que je suis la traînée qui n'arrive pas à se faire accepter, ou alors cette fille qui ne fait que parler de ses soirées pour faire son intéressante, qui parle de drogue et d'alcool sans savoir. Cette fille qui n'est plus vierge, cette fille que personne n'aime et n'appréciera jamais.
J'arrive et m'assoie sur le banc. Je m'attends à ce que Julia me demande comment s'est passé mon cours. Mais rien. Je sens une nouvelle crise arriver. Putain merde. Je dis alors :
- Les gars je me sens pas bien.
Mais personne ne m'écoute, personne ne me voit. Ils n'ont sûrement pas entendu. Je prends mon téléphone pour essayer de distraire mon cerveau de ces addictions. C'est un échec. La deuxième sonnerie retenti. Ils se lèvent tous de la table et se dirigent vers la case de sport. Je n'arrive pas à me lever. Ma tête tourne et mes jambes ne cessent de bouger dans des spasmes incessants. Pourquoi personne ne vient m'aider. J'ai peur. J'ai peur qu'ils aient découvert ma soit disant vraie nature, celle qu'ils croient que je suis. Cette fille arrogante qui pense être mieux que tout le monde, cette fille qui s'en fou des autres, qui ne pense qu'à sois. Mais cette fille manque cruellement de confiance en elle, et elle tient à Julia mieux que personne. Je décide alors de ne pas les rejoindre. Je reste à l'écart car j'ai besoin de réfléchir à comment gérer cette situation de stresse et de manque. L'ensemble de la classe se dirige vers le gymnase. Personne ne me parle. Nous entrons dans le vestiaire. Je suis accablée de sueurs froides. Je m'assoie rapidement. J'essaie de maintenir mes tremblements mais Julia les a remarqué. Je ne veux pas qu'elle sache. Contre toute attente, elle se dirige vers moi.
- T'es toujours énervée ? Me demande-t-elle
- Pourquoi je serais en colère ?
- Parce qu'on ne t'a pas parlé.
Je ne vois toujours pas pourquoi je devrais être énervée, mais soudain je sens mes larmes monter. Je me précipite à l'extérieur du vestiaire et je pleure. Je pleure de toutes mes forces. Je pleure parce que je suis toute seule. Je pleure parce que j'ai l'impression que tout mon monde s'effondre autour de moi. J'attends que Julia vienne. Je la connais. Elle va venir, elle va me demander ce qu'il se passe. Je pleure encore. Je pleure en regardant ma vie s'écrouler autour de moi. J'attends encore. J'ai envie de tout lui dire. Je sèche mes larmes. Et après une dizaine de minutes je comprends qu'elle ne viendra pas. Je rentre alors dans le vestiaire, me rédige en bref une fausse dispense et me précipite dans le gymnase.
Je m'assois tout de même à proximité de Julia. Pourquoi n'est-elle pas venue ? Elle n'est plus la même depuis qu'Anaïs est présente.
- Tu fais encore la gueule ? Se permet-elle de demander.
- Non, je l'ai jamais faite. En l'occurrence, j'aimerais tout de même savoir pourquoi vous m'avez pas parler.
Je m'attends au pire. Va-t-elle me dire qu'elle a ouvert les yeux sur moi, qu'elle ne veut plus me parler...
- Antony a lancé le défi de pas te parler.
- J'espère que c'est une blague ?
- Bah non, c'est pas ma faute si t'as aucun humour.
Je ne pourrais tomber de plus haut. Une plaisanterie. Comme si j'avais besoin de moqueries supplémentaires. Mon quotidien prenait une tournure infernale. J'ai beau être ce que je suis, j'ai beau souvent parler de moi, j'ai beau avoir l'air d'être une hypocrite, je suis toujours honnête et respectueuse en vers mes amis. J'ai toujours été juste et droite avec Julia. J'ai juste envie de partir. J'ai envie de sortir de cette atmosphère écœurante. Je suis bercée dans une solitude qui me pèse, une solitude qui me détruit de jour en jour.
Je cherche mais je ne vois personne. Personne avec qui je pourrais compenser cette solitude. Julia, Maël et Flora le pouvaient. Mais ils ne sont plus là. Ma vie n'a plus aucun sens. Le cours de sport se déroule dans ce silence. Ce silence qui me tue, ce silence qui reste en moi, ce silence que j'aimerais pouvoir sortir en même temps que toutes mes larmes.Ma journée s'achève. Je marche dans un cortège de lycéens en direction de la sortie. Tous sourient, rigolent, ont l'air heureux. Mais combien d'entre eux vont passer la grille et abandonner toute leur joie de vivre ? Combien vont rentrer chez eux, vont se faire frapper, ou même, combien vont rentrer sans que personne ne les remarquent ? Combien d'entre eux vont s'enfermer dans leur chambre et pleurer toutes les larmes qu'ils ont retenu toute la journée ? Antony m'interpelle.
- Salut !
- Salut.
- Ça te dit de venir en ville avec moi demain matin ? On commence à neuf heures.
- Oui bien sûr mais en quel honneur ?
- On pourra fumer un joint ensemble, et j'aimerais m'excuser pour toute à l'heure, c'était débile.
- Bah écoute ouais je suis chaud, j'ai même encore un peu de vodka encore si tu veux.
- À demain.
Je rentre chez moi, ayant hâte d'être à demain matin.
La soirée se déroule comme les autres, entres les cris de maman et Ethan, jusqu'à ce que je reçoive un message de Julia.
- Je suis vraiment désolée, je pensais pas que j'allais te blesser, c'était juste une blague.
J'accepte qu'elle vienne s'excuser mais les faits sont là. Je lui réponds alors.
- Oui, tu m'as énormément blessée, je manque cruellement de confiance en moi, et maintenant je vais me sentir rejetée même avec toi...
J'appréhende sa réponse. Elle finit par me dire.
- Tu es parfaite comme tu es, change pas.
Ce message change le cours de ma journée. Ces mots résonnent dans ma tête. Ils retentissent en moi. Je n'a jamais entendu cela, ni avec Maël, ni avec Flora ; c'est la toute première fois que je me sens bien, que je me sens aimée. Ces paroles de Julia sont une sorte de morphine, qui calme ma douleur le temps d'un instant. Je ne suis donc pas la traînée à ses yeux. Peut être qu'au fond, je compte réellement pour elle, peut être qu'elle tient à moi autant que moi je tiens à elle. Je l'aime Julia. Elle est là quand personne ne l'est, avec ses propres comportements, ses propres jugements, mais elle est là. Elle a pris une place dans ma vie tellement importante que cela me fait beaucoup trop de mal qu'elle me voit d'un mauvais œil. Je suis aussi terrorisée. J'ai peur parce que j'ai vu Julia se rapprocher d'Anaïs, une nouvelle, et je ne veux pas qu'elle se rendre compte qu'elle est dix fois mieux que moi. Elle ne fume pas, elle ne boit pas, elle n'a pas de problèmes au lycée. J'ai envie de lui dire à Julia. J'ai envie qu'elle sache à quel point elle est importante pour moi, mais elle et moi ne sommes pas du genre à ouvrir nos cœurs. Alors je garde pour moi, elle garde pour elle et c'est comme ça. Mais malgré tout, nous savons toutes les deux qu'on était en quelque sorte devenues les meilleures amies du monde.
VOUS LISEZ
Un coeur sur la vitre
ActionJe dénonce dans ce témoignage, le viol, les violences parentales, le harcèlement scolaire, les addictions en tout genre... Mon but étant de sensibiliser les gens, de les sortir de leur ignorance et surtout de les aider. D'aider ceux qui sont passés...