10. L'avertissement

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          Je me redressai tout à coup dans mon lit respectif, le matelas et les draps trempés dus à ma sueur. Je ne cessais de faire des nuits agitées : cela n'avait toujours pas changé. Les cauchemars étaient toujours présents, même après avoir trouvé mon ange. Je jetai un oeil au radio-réveil, posé sur la table de chevet, qui affichait actuellement trois heures et sept minutes. Après avoir longuement soupiré, je m'assis en travers du lit, posant mes pieds nus sur le plancher, et me levai, uniquement vêtu d'un pantalon trop large. Le couloir était sombre et désert mais un son me parvint tout de même, provenant de l'étage inférieur. Je m'avançai à petits pas, tentant de me faire le plus discret possible, et descendis les escaliers prudemment, alors que la lumière de la cuisine était allumée.

          Après une brève hésitation, je me décidai à pénétrer dans la pièce, très peu serein. Je m'arrêtai net, en apercevant une jeune fille d'environ quatorze ans, assise sur le plan de travail, avec des Ramens encore fumants en bouche. Elle avait deux longues tresses blondes qui lui arrivaient dans le bas du dos, et ses petits yeux bridés étaient bien trop maquillés pour son jeune âge.

          En remarquant ma présence, elle écarquilla les yeux et dégaina son arme à feux, si vite que j'eus à peine le temps de broncher. Elle me pointa un long moment de son canon et après s'être assurée que je n'étais pas une menace, elle posa son pistolet sur le plan de travail, reprenant son repas.

          ▬ Hum ... Salut. Ai-je soufflé, dubitatif.

          Elle releva les yeux vers moi, comme agacée par ma présence si tard dans la nuit, puis baissa automatiquement son regard vers les bandages qui enroulaient ma taille.

          ▬ T'es un marqué de Nekor ? M'a-t-elle demandé, la bouche pleine.

          ▬ On peut dire ça, oui.

          ▬ Alors, je ne parlerai pas avec toi.

          Elle descendit agilement du plan de travail et jeta sa barquette de Ramens vide dans une poubelle, avant de récupérer son arme et de la charger, comme si elle s'attendait à une attaque imminente durant la nuit.

          ▬ Je peux savoir pourquoi ?

          Ses yeux noirs se plongèrent dans les miens, comme hésitante, et elle vérifia le couloir, comme si Nekor nous écoutait.

          ▬ Nekor est mon cousin. S'est-elle finalement décidée à lâcher. Disons que c'est l'homme qui me fait le plus peur dans ma vie. Il est atteint de démence. Un coup, il est tout gentil et adorable, il t'aime comme la prunelle de ses yeux. Et le coup d'après, il te hait tellement qu'il serait capable de t'abattre sur le champ. Je ne veux pas m'impliquer dans ses histoires.

          Elle voulut s'éclipser, en rajustant sa veste de fourrure, mais se figea net lorsque je s'enquis :

          ▬ Je n'ai pas peur de lui, moi.

          Elle se retourna vivement, le regard interrogateur et les lèvres entrouvertes, me scrutant comme si j'étais un extraterrestre, une erreur de la nature. Elle se racla la gorge.

          ▬ Tu ne dirais pas ça si tu savais comment ont fini ses derniers marqués.

          ▬ Je m'en fiche.

          Un rire nerveux lui échappa et elle regarda vers le ciel, comme implorant l'aide de Dieu.

          ▬ Mais t'es qui, toi, sérieux ? Tu n'as jamais vu de films sur les garçons de ton genre ? Ils finissent toujours par mourir dans d'atroces souffrances. Par amour. Un amour puérile. Ce n'est pas parce que ta peau est à vif, que tu as son nom gravé dans ta peau, que tu lui appartiens. Tu as encore le temps de t'enfuir. À ta place, c'est ce que je ferais.

          Je fronçai les sourcils, ayant du mal à tout suivre, tandis qu'elle poursuivait :

          ▬ Enfuis-toi cette nuit. Tant qu'il n'est pas encore devenu fou. Tu as encore le temps. Il n'est pas encore au stade où il surveille tous tes gestes, tu es libre de partir.

          ▬ Mais ... Et si je n'ai pas envie de partir ?

          ▬ Qu'est-ce qu'il t'en empêche ? Tu ne connais même pas Nekor.

          ▬ Je lui dois l'obéissance.

          Elle leva un sourcil d'interrogation, ne comprenant décidément pas quel genre d'homme j'étais. Je ne le savais pas moi-même. Au fond de moi, je voulais que Nekor m'aime, m'admire et me respecte tout comme moi je l'avais toujours fait. Je lui avais voué ma vie jusqu'ici. Pourquoi brusquement tout arrêter ?

          ▬ Qu'est-ce qu'il t'a encore foutu dans le crâne ? Ricana la jeune fille, en vérifiant à nouveau le couloir pour s'assurer que personne ne l'entendait. Tu ne lui dois rien du tout à ce taré. Moi, je dis ... que tu ne tiendras pas plus de quarante-huit heures. Mais bon. Je t'aurais prévenu. La porte d'entrée reste ouverte toute la nuit. Le portail du jardin peut s'ouvrir de l'intérieur. T'as jusqu'à sept heures, avant qu'il ne se lève.

          Elle me fit un clin d'oeil, faisant claquer sa langue, et au moment de s'éloigner dans l'obscurité, elle revint sur ses pas et s'écria, me faisant sursauter :

          ▬ Au fait ! Tu m'as jamais vue, ok ? Je devais rentrer à minuit pétante de ma soirée mais ça a peu traîné, tu vois ? 

          Je souris, amusé par son inquiétude et sa vivacité, et acquiesçai :

          ▬ Je n'ai rien vu.

          ▬ Merci, t'es cool !

          Elle s'enfuit dans le couloir et j'entendis ses petits pas monter agilement les marches des escaliers. Je ne savais même pas que la mafia engageait et formait des tueurs aussi jeunes qu'elle. Elle paraissait âgée dans sa prestance et son physique - maquillage et tenues dénudées - mais elle ne devait clairement pas dépasser les quatorze ans. Nekor ne lui ressemblait tellement pas. Le fait de repenser à son visage, si doux, si souriant et si calme, me fit me sentir tout drôle. Lui ? Flippant ? Pas encore avec moi du moins.

          Je tentai malgré tout de l'imaginer énervé, débordant de rage et de vie, entendre sa douce voix crier à s'en déchirer les cordes vocales, mais je n'y parvins pas. Il était toujours soit impassible et très calme, soit tout joyeux : certes, c'était une joie cachant beaucoup de folie et de dégénérescence mentale, mais c'en était quand-même. Après tout, je le côtoyais depuis à peine vingt-quatre heures. Je ne pouvais prendre de conclusions hâtives ou pouvoir prétendre tout savoir de lui. Si sa propre cousine avait peur de lui, c'était pour une bonne raison.

          Mais laquelle ?

          Je me servis un verre d'eau, directement au robinet, et en bus l'intégralité, tentant de ne plus songer à ce qu'elle m'avait dit. Je baissai les yeux vers mon ventre charcuté et recouvert de bandages, avant de poser ma main à plat dessus, comme une femme le ferait lors d'une grossesse. Comme pour toucher quelque chose de précieux à ses yeux. Je fermai les paupières.

          Merde, Hiro ... Tu n'aurais jamais dû.

NekorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant