◣Prologue◢

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          Il n'y en eut qu'un seul.

          Un seul et unique cri. Il avait été chargé de tristesse, de rage, d'angoisse et de culpabilité. J'ouvris grand les yeux, découvrant mon plafond blanc et craquelé, et me redressai d'un coup vif dans mon lit, provoquant en moi un léger et bref déséquilibre. Cela n'avait rien à voir avec mes cauchemars habituels : cette fois-ci, j'étais certain que quelqu'un avait bel et bien hurlé. Mes cheveux étaient collés à mon front à cause de ma sueur, et mon souffle saccadé m'empêchait de voir clair ou de réfléchir.

          Du haut de mes treize ans, je me levai de mon lit, faisant basculer mes jambes sur le côté, et sur la pointe des pieds, rejoins la porte de ma chambre. La douce moquette couvrait sans difficulté le bruit de mes pas. Je baissai délicatement la clinche et jetai un coup d'oeil rapide au long couloir sombre. La dernière porte, au loin, était entrouverte, laissant passer une faible lumière. 

          Il fallait que je m'en assure. Que je m'assure que je n'étais pas en train de rêver. 

          Je mourrais d'envie de l'appeler, de demander si tout allait bien, afin de m'éviter de me déplacer jusque là. Mais au fond de moi, je savais que je ne pouvais le faire. Que quelque chose de grave allait m'arriver si je me manifestais. Comment pouvais-je savoir ça ...

          Je m'élançai à petits pas jusqu'au bout du couloir, mon large pyjama collant à ma peau couverte de sueur, et lorsque j'atteins la porte entrouverte, une jeune voix masculine me parvint. Elle semblait à la fois calme et légèrement agacée.

          ▬ Seigneur, la prochaine fois, donnez-moi un flingue au lieu d'une bête machette. J'ai du sang partout, moi. (Bref silence) Je n'en ai rien à foutre que ça fasse du bruit.

          Je posai ma paume à plat sur la paroi de la porte en bois, l'ouvrant davantage, tandis que mon coeur battait la chamade. Mon angle de vue me dévoila d'abord le lit, puis les pieds de mon père, son corps drapé dans la couverture, et au moment de voir sa tête, je n'aperçus qu'un oreiller blanc taché de noir. Je ne pouvais dire de quoi il s'agissait : il faisait bien trop sombre. J'ouvris encore un peu plus la porte et vis, qui avait roulé sur le côté, le crâne de mon père, décrochée de sa colonne vertébrale. De là où je me tenais, j'étais incapable de voir son visage.

          Etrangement, je ne ressentis aucune peine, aucune angoisse, aucun dégoût, aucune colère, ... Je me contentais d'observer la scène sanglante qui se déroulait sous mes yeux. J'avais envie de penser qu'il l'avait mérité, qu'il n'avait fait que recevoir la monnaie de sa pièce.

          Je me penchai légèrement sur le côté et aperçus un grand homme, se tenant dos à la porte, essuyant sa machette dégoulinante de liquide épais et sombre à l'aide d'un chiffon. Pourquoi n'avais-je pas peur ? Pourquoi étais-je si calme ? Qu'est-ce qui n'allait pas chez moi ?

          Au moment de faire un pas en arrière et de peut-être m'enfuir d'ici, je me rendis compte que l'inconnu, en à peine deux secondes, s'était retourné dans ma direction et me fixait maintenant, la machette serrée dans sa main. Je ne l'avais même pas vu bouger. Mes yeux s'écarquillèrent et je voulus refermer la porte de la chambre. Je l'avais vu avancer vers moi. Je n'aurais jamais le temps de la claquer. Une main apparut, attrapant la paroi, et l'ouvrit toute grande, me prenant de court et m'obligeant à lâcher la clinche. J'étais incapable de rivaliser face à sa force. L'immense silhouette sombre de l'homme apparut alors dans l'encadrement et nous restâmes quelques secondes figés, comme des statues. 

          Il me scrutait de ses grands yeux noirs, débordants d'une folie dévastatrice. Mon coeur rata un bond tandis qu'il s'enquit, comme s'il se parlait à lui-même :

          Patron ... Il avait un fils.

NekorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant