J'étais allé me coucher tôt ce soir-là, bien avant tout le monde et même avant de manger. Mon estomac était vide mais la boule qui s'était créée dans ma gorge m'empêcherait de consommer quoi que ce soit. Je m'étais débarrassé de mes vêtements et m'étais enroulé en boule dans les draps fins de mon lit, enfouissant mon visage dans les oreillers qui sentaient délicieusement bon la lessive. La lumière encore assez vive du coucher de soleil s'étirait de part et d'autre des deux volets sur les murs blancs. J'avais jeté un dernier coup d'oeil à mon radio-réveil qui affichait dix-huit heures quarante-trois et j'avais immédiatement sombré, à bout de force et d'énergie.
Mon sommeil me parut durer qu'une fraction de seconde, avant que je ne me réveille vers vingt-deux heures et demi, par un léger bruit qui avait résonné dans la pièce. J'entrouvris difficilement un oeil, tentant de voir l'origine de ce son, mais m'étais ravisé après avoir frôlé à nouveau le sommeil. Des pas très silencieux et lents s'avancèrent vers moi, mais j'étais bien trop fatigué que pour me méfier de ce danger.
L'inconnu contourna le lit et grimpa dessus, faisant s'affaisser le matelas derrière moi. J'entrouvris un oeil lorsqu'une main chaude m'attrapa le poignet et m'obligea à rouler sur le côté pour m'allonger sur le dos. Il enroula mon bras autour de ses épaules et une tête se posa contre ma clavicule, respirant de manière brève et saccadée. Je sentis son pouls affolé contre mes côtes se calmer au fur et à mesure que le temps s'écoulait. L'odeur de ses cheveux - mélange de shampoing et de fumée - m'avertit immédiatement de l'identité de l'inconnu. Il avait étrangement besoin de se rassurer en s'entourant lui-même de mes bras.
▬ Nekor ... Ai-je chuchoté, à deux doigts de me rendormir. Nekor ...
▬ Chuuut ... Rendors-toi ...
Il m'enlaça de ses bras et de ses jambes, enfouissant son visage dans mon cou. Il avait les doigts et pieds glacés.
▬ Tu es bien chaud ... A-t-il susurré en collant son nez froid contre ma mâchoire. C'est étrange de dormir avec quelqu'un de chaud ...
▬ Je pensais que ... Ai-je marmonné, presqu'inaudible. Que tu ne voulais pas dormir avec quelqu'un ...
Il soupira.
▬ Je dors toujours une nuit avec mes marqués juste après les avoir tués. Faisons comme si c'était le cas pour toi aussi ... La peau de leur cadavre était toujours glacial.
Ses paroles me parvinrent sans m'atteindre, comme si ses mots ne m'étaient pas destiné. J'allais sombrer à tout moment mais au fond de moi, je n'en avais nullement envie. Je voulais profiter de la sensation du corps de Nekor blotti contre le mien durant toute la nuit. Être conscient de sa peau glacée contre la mienne que j'étais en train de réchauffer. De son souffle vibrant contre mon cou, qui semblait être effrayé par quelque chose.
▬ Nekor ... Je crois que ... Nekor ...
Tout ce qui sortait de ma bouche était incompréhensible, je ne savais même plus quelle idée je voulais lui communiquer. Mes pensées fusaient toutes dans mon esprit, me déstabilisant davantage. Seigneur, ne t'endors pas ... Tu n'as pas intérêt à ...
▬ Hiro ... A-t-il soufflé à mon oreille. Mon vrai nom, c'est ...
Je m'endormis subitement, sans entendre la suite de sa phrase.
▬ Ton père était quelqu'un de formidable. Qu'il repose en paix, à présent.
Ma tante me caressa doucement la chevelure, ébouriffant légèrement mes mèches, et s'éloigna de moi, tandis que j'étais posté devant le coffrage en pierre de la tombe de mon géniteur. Du haut de mes treize ans, j'étais vêtu de mes plus beaux vêtements noirs, un parapluie en main, afin de me protéger de la bruine froide. J'avais la mâchoire serrée et la main qui agrippait le parapluie avait les ongles plantés dans le creux de ma paume. Tu mériterais que je crache ou pisse sur ta sépulture, ordure. Ai-je songé. J'aurais voulu ne pas assister à son enterrement mais cela aurait paru trop suspect aux yeux de ma famille qui croyait que la mort était accidentelle, due à une explosion de fuite de gaz pendant la nuit.
J'avais expliqué que je m'étais réveillé au milieu de la nuit à cause de l'odeur de fumée et que j'étais sorti par la fenêtre de ma chambre, sans avoir pu sauver mon père. Je n'avais nullement envie que la police se mette à la recherche de mon ange et le mette entre les barreaux par mon unique faute. Je ne l'aurais pas supporté.
Malheureusement pour moi, après l'examen complet de ma maison, plusieurs jours après l'enterrement de mon père, la police scientifique se mettrait à soupçonner l'homicide volontaire dû à l'odeur infâme de l'essence et une des portes fenêtre qui aurait été forcée, laissant des marques d'intrusion.
Je laissai retomber mon parapluie sur la pelouse boueuse et joignis mes mains en signe de prière, les yeux fermés. La pluie fine me rafraichit le visage, humidifiant mes cheveux. Je sentis le regard perplexe de toute ma famille posé sur moi, eux qui s'étaient rassemblés pour parler, sur ma droite.
▬ Faites que là où il est, il soit tourmenté jour et nuit par la mort de ma mère. Ai-je chuchoté, mes mains jointes postées sous mon menton. Qu'il souffre chaque seconde de lui avoir fait du mal. Qu'il regrette tout ce qu'il a fait subir aux autres durant son vivant.
▬ Qu'est-ce que c'est que cette prière, mon garçon ? S'écria la voix vibrante de ma grand-mère. Excuse-toi !
Je fis mine de ne pas l'avoir entendue, gardant les yeux rivés vers l'obscurité quasi complète de mes paupières.
▬ Faites que je retrouve mon ange au plus vite ...
▬ Hiro ? M'appela une voix familière.
J'ouvris les yeux, rassuré par cette voix non loin de moi, mais en balayant les alentours du regard, je ne vis personne. Toute ma famille avait disparu, me laissant planté seul face à la tombe de mon père.
▬ Hiro ! Continuait de m'appeler la voix, de plus en plus forte et affolée.
Je regardai autour de moi, le regard paniqué par ces sons qui résonnaient dans l'air, et ma respiration s'accéléra automatiquement, me tétanisant sur place. Qui me parlait ? Qui m'appelait comme ça ? Une main se posa subitement sur mon épaule, me faisant tressaillir comme si l'on m'avait brûlé. Je levai la tête vers le grand homme qui se tenait à mes côtés et je lui souris immédiatement. Nekor était posté là, me fixant du haut de mon petit corps d'enfant, le visage ravagé par la folie pure. Il me rendit mon sourire, avant de se pencher vers moi dont ma tête ne lui arrivait qu'au torse. Au moment de poser ses lèvres sur les miennes, il m'attrapa violemment les deux épaules et me secoua d'avant en arrière.
J'écarquillai les yeux, tandis qu'il me criait dessus comme si ma vie en dépendait :
▬ Hiro, par pitié, réveille-toi !
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Nekor
Romance◣ Lorsque son père se fait assassiner sous ses propres yeux par un mafieux, Hiro développe en lui une forme d'obsession envers le tueur, lui qui avait toujours profondément détesté son unique parent. Il tentera par tous les moyens de retrouver l'ass...