23. La renonciation

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          Après que John ait recousu et recouvert la blessure de Nekor avec des bandages, j'ai dû le laisser seul avec le corps de son père, qui avait été tué dans son lit. Il y est resté près d'une demi-heure, sans prononcer le moindre mot, assis à ses côtés, en prenant sa main froide et ensanglantée pour la poser contre son front. Je l'avais attendu pendant de longues minutes, adossé contre la porte, avant que mon coeur ne rate un bond, me rendant compte d'un détail. Teresa. Où était-elle ? J'attrapai subitement le coude d'un des gardes qui passait dans le couloir, une coupure peu profonde sur la joue. 

          ▬ Savez-vous où est Teresa ?

          ▬ Oui, elle est dans le salon. Elle va bien mais elle a été grièvement blessée au visage.

          J'écarquillai les yeux et courus jusqu'au salon, sans même prendre la peine de remercier l'homme qui continua sa route. Je débouchai dans la pièce, alors que deux femmes étaient penchées sur le corps de Teresa, assis dans le canapé. Elle grogna et finit par aboyer, à l'attention des deux infirmières :

          ▬ Je vais bien, je vous dis ! Dégagez !

          Elles s'exécutèrent, levant les yeux au ciel, tandis que j'avançais lentement vers la jeune fille. Je me suis placé juste devant elle, le visage déformé par l'inquiétude, et elle finit par relever la tête, se rendant compte de ma présence. Elle fronça les sourcils en me reconnaissant et me souffla un vague « Salut ... » avant de détourner le regard, comme honteuse que je la vois ainsi. Elle avait une énorme balafre encore saignante qui démarrait de son front, jusqu'à sa joue, en passant par son oeil. Ce dernier, désormais fermé, semblait tellement amoché qu'elle serait probablement borgne toute sa vie.

          ▬ Je me suis bien battue, tu sais, Hiro ... Mais au moment de l'achever, il a attrapé le katana de mon père et m'a coupée au visage. Quelle enflure ...

          ▬ Je n'en doute pas ... Ai-je doucement soufflé en m'agenouillant face à elle.

          Elle m'adressa un vague sourire.

          ▬ Au moins, toi, tu n'as rien.

          ▬ Nekor a pris une balle pour moi. (Elle fronça les sourcils) Mais ne t'en fais pas, il va bien. 

          ▬ Personne n'aurait cru que la Siera serait capable d'entrer en ces lieux pour s'en prendre à notre famille. On savait qu'elle voulait la tête de mon cousin, après qu'il soit devenu aussi puissant, mais jamais personne n'avait osé pénétrer dans sa demeure auparavant. Les temps changent. Même Nekor est quelqu'un de vulnérable, après tout. Il est mortel comme tout le monde, même s'il n'en a pas l'air.

          Je baissai les yeux. À tout moment, je pouvais le perdre, désormais. Depuis que j'étais apparu dans la vie de Nekor, il n'y avait eu que blessés et morts, comme si je n'étais qu'un malheur dans sa vie. Il fallait peut-être que je m'en aille et que je le quitte une bonne fois pour toutes, après tout. Je l'aimais. Mais je n'étais pas bon pour lui.

          Teresa soupira.

          ▬ Au moins, tu devrais être content. Tu vas être emmené dans un grand hôtel cinq étoiles avec ton chéri. (Un sourire m'échappa) À toi de le faire tomber amoureux, maintenant. Même s'il me fait toujours aussi peur, je connais mon cousin : il n'est pas loin d'être fou de toi.

          ▬ Tu ne crois pas que je devrais le quitter, Teresa ?

          Elle perdit instantanément son sourire, baissant les yeux, et secoua vivement la tête.

          ▬ Tu es libre de partir, Hiro. Si c'est ce que tu veux, tu le peux. Mais tu dois le faire maintenant. Tant qu'il ne peut pas t'en empêcher. Assure-toi que personne ne te voit.

          J'acquiesçai, avant de me redresser, l'obligeant à relever la tête, et je pris la direction de la porte d'entrée. Mon coeur battait la chamade et une boule nauséabonde s'était formée dans ma gorge, m'empêchant de respirer correctement. Seigneur, aidez-moi à surmonter ce départ ... Dites-moi que je fais le bon choix. Pour lui et pour moi. Je posai ma main sur la clinche et me figeai net, comme si le temps avait été mis sur pause.

          Il n'est pas loin d'être fou de toi.

          Les autres me craignaient, alors que toi, tu me désirais.

          Tu m'as fait peur, sale enfoiré.

          Même son père ne l'a jamais vu pleurer.

          Les voix fusaient toutes dans mon esprit, m'empêchant de faire un pas de plus. Pourquoi y pensais-je maintenant ? Il fallait que je franchisse cette porte et que je disparaisse. Mais au fond, n'était-ce pas lâche de ma part de les abandonner tous dans une situation aussi critique ? Peut-être n'allais-je faire qu'empirer les choses ?

          ▬ Hiro ? M'appela une voix.

          Je me suis retourné vivement, surpris d'une présence derrière moi, et aperçus John, qui tenait une épaisse valise dans chaque main. Je poussai un long soupir de soulagement, une main posée contre le torse. Pendant une seconde, j'ai cru que c'était lui ...

          ▬ Nous partons. Tant qu'il est encore temps. Restes-tu ici ou suis-tu Nekor dans son hôtel ?

          ▬ J'ai ...

          Je jetai un coup d'oeil à la porte, retirant lentement ma main de la clinche.

          ▬ Je le suis.

           Merde ... Pourquoi est-ce que l'amour prenait-il toujours le dessus sur toutes les décisions des humains ? Il fit rouler une des valises jusqu'à moi et je l'attrapai, tandis que Nekor descendait rapidement les marches en pierre de la maison. Son regard s'est posé durant une fraction de seconde sur moi, mais il me parut immédiatement vide et sans vie. J'avais souvent connu son visage impassible, mais là, cela semblait différent de d'habitude. Il aurait été capable de tuer n'importe qui s'il se mettait en travers de sa route. Il secoua la tête et passa à côté de moi, ouvrant grand la porte d'entrée.

          Ce fût comme si je n'étais pas là.

NekorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant