▬ Doucement, Hiro ... Soupira Nekor, le visage dégoûté, en me voyant m'empiffrer comme un ogre.
J'ai relevé les yeux de mes frites et de mon hamburger, les joues recouvertes de minuscules grains de sel, les doigts pleins de graisse et de sauce. Il avait accepté de m'emmener manger dans un fastfood étant donné qu'il était déjà treize heures passées et que je l'avais désespérément imploré. A vrai dire, il avait eu l'air de beaucoup apprécier de me voir le supplier car il avait affiché un sourire plein de désir et de satisfaction. Ses yeux avaient semblé pétiller. Je poignai dans un mouchoir, posé sur le bord de la table, et m'essuyai grossièrement la bouche et le bout des doigts, sous le regard méticuleux de Nekor. Il se laissa retomber contre le dossier en caoutchouc de la banquette et retira sa serviette, logée dans le col de sa chemise noire.
▬ Tu me dégoûtes ... A-t-il soufflé.
Il jeta un oeil par la fenêtre du fastfood où se tenaient ses gardes du corps, à l'affût du moindre intrus, du moindre comportement suspect de la part des occupants du bâtiment. S'il arrivait quelque chose à leur patron et qu'un assaut avait lieu, ils se feraient forcément descendre par le géniteur de Nekor.
▬ Je suis sale en mangeant. Toi, tu es sale dans le sexe. Alors, on est quittes.
Un sourire en coin lui échappa.
▬ Je ne suis pas sale sexuellement. Je suis juste très exigeant.
▬ Je ne pensais même pas être gay ... Ai-je avoué, le regard perdu dans le vague.
▬ C'est ce qu'ils disent tous avant de me rencontrer.
Je ris. Il sortit une cigarette de sa poche et se l'introduit dans la bouche, sous mon regard attentif. Il baissa la tête et voulut allumer son briquet, en le tenant proche de l'extrémité, mais une femme du fastfood posa sa main sur la sienne, afin de l'arrêter dans son geste.
▬ Il est interdit de fumer ici, monsieur.
Son regard froid de tueur resta figé sur sa peau posée sur la sienne et lorsqu'elle comprit que cela le rendait mal à l'aise, elle retira sa paume, brusquement plus nerveuse à l'égard de l'homme. Il soupira et attrapa sa cigarette entre son index et son majeur pour la retirer de sa bouche.
▬ Vous êtes mineur, ma chère Virginie ?
Elle parut étonnée mais en baissant les yeux vers son badge, sa stupéfaction disparut.
▬ Hum ... oui. Je suis étudiante.
▬ Et votre patron, là-bas, (il pointa du menton un homme aux cheveux blancs, derrière le comptoir) a bien la soixantaine, je me trompe ?
Elle suivit son indication, perplexe et grimaçante.
▬ Je ne vois pas ce que cette conversation a à voir là-dedans.
À vrai dire, j'étais aussi perdu qu'elle. On aurait dit que Nekor était à nouveau soûl et qu'il avait actuellement une conversation avec lui-même. Il haussa les sourcils, en gardant sa cigarette en main.
▬ À ce que je sache, l'attouchement mineur est tout aussi interdit que de fumer dans un lieu public. Et pourtant, cela ne semble pas déranger votre responsable qui vous tripote les fesses derrière le comptoir.
La jeune fille devint rouge comme une pivoine, le souffle coupé et l'expression meurtrie. Elle voulut ajouter quelque chose et tenter de se défendre, mais sa bouche ne prononça aucun son. Elle finit par se raviser et par nous tourner les talons, accourant vers les cuisines. Je jetai un oeil intrigué à Nekor qui venait d'allumer sa cigarette, créant une nuée de fumée grise entre nous deux. C'était fou comme il pouvait toujours avoir le dernier mot, avec ses gardes comme avec les autres humains autour de lui. Même avec moi, il l'avait toujours. S'en prendre à lui nous amenait forcément à une ridiculisation pure et simple. Il souffla sa fumée par les narines, relevant les yeux vers moi. Il me sourit et je sentis un poids s'écraser légèrement entre mes jambes, sous la table.
Je baissai les yeux, surpris, et aperçus sa Converse blanche posée sur ma banquette, entre mes cuisses, pratiquement contre ma verge. Je me crispai.
▬ Veux-tu bien stopper tes hormones de vieux puceau ? Grogna Nekor qui semblait agacé. Je te sens suer d'ici.
▬ Qui te dit que je n'ai pas déjà perdu ma virginité ? Balbutiai-je.
▬ Cela se verrait. A-t-il ricané, recrachant sa fumée. Tu ne serais pas tout émoustillé à chacun de mes gestes déplacés sinon. Mais tant mieux. Cela me change des marqués expérimentés que j'ai pu avoir.
Il baissa lentement sa semelle, appuyant contre mon pantalon, et je pris une grande inspiration. Soudain, au même moment, deux paumes s'abattirent violemment contre notre table, me faisant sursauter et laissant Nekor de marbre. Les dents serrées, il releva lentement un regard plein d'éclairs vers l'homme qui venait de surgir et pourtant, il garda son pied appuyé contre mon entre-jambe.
▬ C'est pour quoi ? Demanda Nekor.
▬ Ça !
L'inconnu lui arracha la cigarette encore fumante de la bouche et je me rendis brusquement compte de la présence de la jeune Virginie, postée derrière lui, en train de jouer timidement avec ses doigts. Nekor soupira longuement, le regard vide, et je me dis à moi-même : « Ils sont morts ».
▬ Vous n'êtes pas censés fumer en ces lieux. Et puis, d'où viennent ces accusations concernant mes relations avec mes employées ?
▬ Vous êtes tous les deux aussi discrets qu'un putain de viol au milieu d'un centre commercial.
L'homme eut un sourire amer, alors que Nekor s'apprêtait à récupérer sa cigarette, mais il l'éloigna d'un geste du bras, jouant davantage avec les nerfs de mon maître. Je priais intérieurement pour qu'il ne soit pas armé.
▬ Tu as beau être bien bâti, jeune homme, tu ne me fais pas peur. Je te mets une raclée n'importe où, n'importe quand. (Le visage de Nekor se décomposa, affichant une expression fatiguée) Alors, tes accusations foireuses et tes cigarettes répugnantes, tu les gardes pour toi. Et tu te casses d'ici, avec ton petit frère.
▬ C'est mon partenaire de sexe. Corrigea fièrement Nekor, tout sourire.
L'homme eut une grimace de dégoût, tout en me jetant un oeil désobligeant. Mon maître poursuivit, voyant bien que cela le dérange :
▬ Ouais, mais vous voyez, on n'a pas encore couché parce qu'il est un peu sensible. C'est un vierge. En parlant de ça, vos cuisines sont libres ? Ça ne me dérangerait pas de le faire là, maintenant, dans un lieu publique.
▬ Dégagez vos deux culs de pédales d'ici. Grogna l'homme, serrant les poings et écrasant légèrement la cigarette dans le creux de sa main.
▬ Non mais c'est parce que ... Je me dis, les hétéros comme vous le font bien, alors pourquoi pas lui et moi ? Cela pourrait être quelque chose de ... (il réfléchit à ses mots, un sourire diabolique sur les lèvres) chaud bouillant.
Pris d'une pulsion de rage, l'homme leva son poing en l'air et le dirigea vers le visage de Nekor, tandis que j'étais figé sur place. Tout se passa beaucoup trop vite pour moi. Mon maître dégaina sa machette, derrière son dos, d'une telle vitesse que j'eus du mal à le voir arriver. Il abattit son arme contre la table, plantant la lame dans le bois. Son agresseur se mit à hurler de toutes ses forces, faisant se retourner tous les clients environnants, tandis que sa main droite retombait lourdement sur la table, détachée du reste du corps. Le sang gicla abondamment, alors que les cris devinrent généraux dans le reste de la salle. Souriant, Nekor souffla un « Oh, merci bien, il ne fallait pas ! » en récupérant sa cigarette dans le creux de la main coupée. Il se leva de la banquette, embarquant sa machette avec lui.
Tout en restant muet, il me prit la main en passant à côté de moi, m'obligeant à me lever. Je lui emboitai le pas sans broncher, le regard ne pouvant se détacher de la scène immonde qui se déroulait encore sous mes yeux, comme si j'éprouvais une sorte d'émerveillement.
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Nekor
Romance◣ Lorsque son père se fait assassiner sous ses propres yeux par un mafieux, Hiro développe en lui une forme d'obsession envers le tueur, lui qui avait toujours profondément détesté son unique parent. Il tentera par tous les moyens de retrouver l'ass...
