8. Le jouet

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          ▬ Qui est-ce ?

          Tous les regards se tournèrent dans ma direction, alors que le géniteur de Nekor prononçait ces mots, tous assis autour de la table de la grande terrasse. Le jardin était parfaitement tondu, orné de palmiers, de murets de pierre et d'une piscine enterrée dont les bulles du jacuzzi barbottaient. Les cigales se faisaient bruyantes et le soleil brûlait la peau. Nous n'étions plus au Japon, avec son climat tempéré. Mais malheureusement, j'étais incapable de me souvenir du trajet qui avait eu lieu après la soirée arrosée de la veille. Finalement, il ne s'agissait pas du tout de la mafia japonaise. 

          Nekor releva les yeux de sa machette qu'il était en train de débarrasser des moindres taches de sang séché, assis sur un des bancs, en retrait du groupe. Je descendis la marche du porche et restai de marbre, la main toujours pressée contre ma blessure, tentant d'atténuer la douleur.

          ▬ C'est Hiro Okun. Cita Nekor, en retournant à sa tâche. Le fils d'une de mes anciennes cibles, père. 

          ▬ Et que fait-il ici ?

          Tous les hommes à table étaient en train de fumer le cigare, tous vêtus de costards bien trop chauds pour la température actuelle. Nekor leva sa machette vers le haut, la faisant briller au soleil et vérifiant dans le reflet s'il restait des impuretés sur la lame.

          ▬ Il est là pour une espèce de dette, apparemment.

          Il me regarda enfin et m'adressa un clin d'oeil qui fit bouillir mon sang, au niveau de mes tempes.

          ▬ Okun ... Cita un des camarades de son père, comme perdu dans ses pensées. N'avais-tu pas tué sa dernière descendance, il y a longtemps ?

          Nekor haussa les sourcils, grimaçant, agacé par sa remarque.

          ▬ J'ai échoué. A-t-il avoué, la voix presqu'inaudible. J'ignore encore comment il a pu survivre à un tel massacre.

          ▬ Ce n'est pas ton genre de ramener des chiens errants à la maison, mon fils.

          Sentant que j'allais perdre l'équilibre, je m'appuyai soudainement sur une des statues romaines, présentes autour de la terrasse, et Nekor me scruta gravement, comme s'il craignait que je ne survive pas à sa mutilation. Il se leva telle une furie de son banc et, arrivant à hauteur de la table où tous les hommes riaient et discutaient, il planta de plein fouet la pointe de son arme dans le bois, créant un silence pesant. Tous les occupants s'écartèrent du jeune homme, terrorisés, tandis que son père restait de marbre, assis dans son fauteuil.

          ▬ Pas d'arme sales à table. Rétorqua ce dernier. Tu connais la règle : c'est immonde de ta part.

          ▬ Tant qu'il est ici, personne ne lui manque de respect ou ne le touche, compris ?

          J'eus envie de sourire mais je retins ma joie. Il était tellement sur la défensive avec moi : c'était surprenant venant d'un homme aussi froid en temps normal. Il détacha sa machette de la table après avoir légèrement forcé et son père demanda :

          ▬ Quand comptes-tu te débarrasser de ce jouet ?

          Mon coeur s'emballa.

          ▬ Pas tout de suite. Répondit Nekor.

          ▬ Ce n'est pas une réponse, ça, mon fils.

          Ne voulant guère en entendre plus, il contourna la table, frôlant au passage le dossier de la chaise de son père. Lorsqu'il m'atteint, il m'attrapa le bras droit et les deux jambes, me faisant basculer à l'horizontal. Il me porta sur ses épaules, tel un soldat blessé au front, et il rentra à l'intérieur de la villa, m'évitant ainsi de tituber comme un demeuré. Je ne pus m'empêcher de rire, amusé par sa manière de me déplacer, et il me laissa retomber lourdement dans un canapé moelleux, face à une cheminée de pierre. Il n'avait affiché aucune difficulté à me soulever, malgré mes quatre-vingt kilos de muscle. En se penchant en avant au-dessus de moi, sa chemise noire entrouvrit et elle me laissa apercevoir ses clavicules et son torse, confirmant mes doutes. 

          Ce n'était pas qu'une simple impression : il était extrêmement musclé.

          ▬ Ok. A-t-il commencé, l'expression intriguée et frustrée à la fois. Maintenant que tu es lavé et convenablement habillé, toi et moi, nous allons devoir parler.

          ▬ Parler ?

          Il acquiesça et s'agenouilla face à moi, les paumes contre mes genoux et son menton posé contre le dos de ses mains. De ce point de vue, il ressemblait à un véritable petit chiot, ne demandant que de l'attention ou de la nourriture. Cette pensée me fit sourire. Cette image toute innocente et adorable fût rapidement balayée lorsqu'il écarta violemment mes jambes de ses mains, me faisant sursauter. Je jetai instinctivement un coup d'oeil à la porte vitrée, derrière la cuisine, qui donnait accès à la terrasse. Ils étaient à quelques mètres de nous et nous pouvions même les entendre rire.

         Une chaleur me parcourra d'abord le crâne, puis descendit vers le bas de mon ventre. J'avais osé. J'avais osé l'imaginer en train de la prendre en bouche. Il posa sa joue contre l'intérieur de ma cuisse et après m'avoir souri, il ferma les yeux, comme rassuré par ma présence.

          J'avais l'entièreté de mes muscles crispés, incapables de se détendre, et le coeur battant la chamade. Qu'essayait-il de faire ? Qu'essayait-il de prouver ? Cet homme était fou, complètement déjanté et tout juste bon pour la peine capitale, ou l'hôpital psychiatrique avec un peu de chance. Et pourtant, je ne cessais de l'admirer pour m'avoir délivré à tout jamais. Je n'avais pas peur de lui, plus jamais. Même s'il me menaçait à l'arme blanche ou à la mitraillette, m'attachait sur une chaise de torture, me séquestrait jusqu'à l'anorexie, me violait jusqu'à sang, ... Je n'aurais plus jamais peur de lui.

          Il ouvrit enfin les yeux et se redressa, détachant son visage de l'intérieur de mes cuisses et me libérant de ce calvaire sexuel. Il se leva de ses un mètre nonante passés et se pencha au-dessus de moi, une main contre le dossier derrière moi.

          ▬ Hiro ... Il faut que tu me parles de cette nuit-là. Veux-tu ?

          La fameuse nuit ?

          ▬ Pourquoi faire ? Ai-je ri.

          ▬ J'en ai besoin. J'ai besoin de comprendre comment tu as pu me filer entre les doigts. Moi qui ne bâcle jamais mon travail ...

          Je fronçai les sourcils, le regard perdu dans la contemplation du vide, et je tentai de me remémorer la suite de la nuit, ce jour-là. Après que j'aie découvert le corps décapité de mon père, dans sa chambre. Après que Nekor ait prévenu ses supérieurs de ma présence dans la maison. Plus j'y songeais et plus je sentais mon corps entier devenir douloureux. C'était comme si mon sang bouillait à l'intérieur de mes vaisseaux, que ma peau me brûlait si fort que j'avais presqu'envie d'en sortir, que mes yeux piquaient de manière si atroce que j'avais envie de me les arracher.

          Je me souvenais parfaitement de ce qu'il s'était passé.

NekorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant