3. Le pressentiment

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          J'étais en train de m'affairer dans ma salle de bain, me plaquant les cheveux en arrière avec de la laque et me brossant les dents. C'était déjà le jour j. Le temps était passé bien trop vite à mon goût : cette sortie entre amis m'avait décidément stressé jusqu'au bout. Je n'avais pas l'habitude de m'apprêter physiquement ou de vouloir plaire aux autres, alors le fait de porter une chemise et un pantalon de costume en cette occasion ne me rendait que plus angoissé.

           Je me suis ensuite machinalement dirigé dans ma cuisine et me suis servi un café, afin de pouvoir tenir un maximum éveillé durant cette soirée. Cela s'annonçait d'un ennui mortel mais je le faisais pour Erik. Alors que la machine s'affairait à sa tâche dans un son assourdissant, j'allumais mon téléphone. J'avais déjà deux messages d'il y a vingt minutes de mon ami qui disaient qu'il n'allait pas tarder à quitter de chez lui et qu'il allait d'abord passer chercher une certaine Annie en priorité. Je ne connaissais aucun de ses amis et je ne savais même pas qu'il y aurait des filles pour l'anniversaire de son petit frère, Matt.

          Alors que j'étais absorbé par la lecture de mes messages, ma machine s'arrêta brusquement de bourdonner et je tendis la main dans sa direction, les yeux toujours rivés vers mon écran. Et évidemment, par ma maladresse habituelle, au lieu de poigner dans ma tasse, je la fis tomber sur le bord du plan de travail. Elle déversa tout son contenu brûlant et fumant sur la surface, avant de rouler, et de s'écraser au sol dans un fracas atroce.

          Je grimaçai et une fois que le massacre prit fin, je soufflai, en posant mon téléphone :

          ▬ Fais chier ...

          Je m'agenouillai à côté de ma tasse, qui par chance ne s'était cassée qu'en deux morceaux, facilitant ainsi son ramassage. J'ouvris la poubelle, alors qu'un des deux débris était encore un peu rempli de café, et les jetai tous les deux à l'intérieur, déversant au passage le liquide encore chaud sur mes papiers, jetés la veille. Mon coeur se serra brusquement, me rendant compte de ma bêtise.

          ▬ Non, non ... Fais chier ! Me suis-je écrié, en plongeant mon bras dans le sachet pour retirer le débris qui coulait toujours sur le reste de mon travail.

          Alors que je m'apprêtais à sortir le tas de la poubelle, la sonnerie familière de mon téléphone se mit à bourdonner, indiquant un appel entrant d'Erik. Il était déjà devant mon appartement. Je pris une grande inspiration et reposai mes papiers là où ils étaient. Après tout, je m'étais décidé hier à tourner la page. Il fallait que j'arrête de m'attacher à du matériel. J'attrapai mon portable, les doigts sentant affreusement le café, et décrochai l'appel.

          ▬ Hiro ! S'écria la voix surexcitée d'Erik. Cela m'étonne que tu n'aies pas été te coucher à cette heure-ci.

          Je jetai un rapide coup d'oeil à l'horloge sur mon four et soufflai, à moitié amusé :

          ▬ Ha ha, très drôle. Tu me donnes deux minutes ? Je descends juste après.

          ▬ Ok, pas de soucis, finis ta branlette et viens nous rejoindre.

          Je levai les yeux au ciel et enfouis mon téléphone dans ma poche de pantalon, avant d'essuyer les dernières gouttes de café sur le sol et sur mon plan de travail. Une fois fait, je pris mon long manteau et mon écharpe, et passai la porte d'entrée. Erik m'attendait juste devant les boîtes aux lettres de mon immeuble avec son monospace de père de famille, le moteur encore vrombissant qui créait des nuages de buée dans le froid piquant. J'y apercevais déjà quatre personnes à bord : Annie, Matt, Erik et une autre fille qui ressemblait fortement à la première, probablement sa sœur qui avait décidé de l'accompagner. 

          Je m'assis lourdement à l'arrière du véhicule, aux côtés des deux femmes, et Erik me sourit dans le rétroviseur.

          ▬ Je ne pensais pas que tu ferais autant d'efforts vestimentaires, Hiro. Moi qui m'attendais à te voir arriver en survêtements. 

          ▬ J'imagine que c'est ta manière de me dire que je suis très attirant. Ai-je ricané.

          Matt se retourna vers moi.

          ▬ Enchanté, je suis le petit frère d'Erik. A-t-il cité, en me tendant sa main que je serrai. Il m'aura fallu beaucoup de courage aussi pour tous les accompagner. Les soirées comme ça, ce n'est vraiment pas mon truc.

          Les deux filles à côté de moi se chuchotèrent mutuellement un bref mot, avant d'éclater d'un rire tonitruant, tout en me jetant des coups d'oeil rapides. Je ne pouvais cependant dire si cela exprimait un sentiment positif à mon égard, ou au contraire, de la pure moquerie. Alors, je me suis contenté de sourire à moitié, durant l'entièreté du trajet. Ils n'arrêtèrent pas de tous me taquiner, ainsi que Matt, à propos de la soirée qui allait arriver et de nos comportements futurs auprès des femmes que l'on pourrait rencontrer tous les deux. Je pouvais comprendre : je n'avais jamais eu de réelles relations concrètes, mais je me disais simplement que j'avais tout mon temps pour cela.

          Erik dut encore aller chercher deux autres garçons qui attendaient devant chez eux et que je ne connaissais toujours pas, avant d'arriver enfin à destination. Il se gara juste devant l'entrée de la boîte de nuit, dont la façade était éclairée par des spots lumineux et dont l'entrée était encombrée d'une longue file d'une trentaine de personnes.

          ▬ Ne me dites pas qu'on doit faire la file ! S'écria une voix - je ne pouvais dire de qui elle provenait.

          ▬ Ne vous en faites pas. Le rassura Erik en sortant de sa voiture, suivi de tous les autres occupants. Comme c'est l'anniversaire de mon petit frère, je n'ai pas fait les choses à moitié : passes vip !

          Ils se mirent tous à pousser des cris hystériques, dus à l'excitation, tandis qu'Erik confiait les clefs de son véhicule à un jeune homme, vêtu d'un costard qui attendait patiemment devant la boîte. Moi, je restai muet comme une tombe, incapable de trouver le moindre sujet de conversation avec les invités d'Erik, et nous entrâmes sans aucune difficulté dans le grand bâtiment, après avoir montré nos passes vip.

          L'intérieur était encore bien plus impressionnant et luxueux que la façade : des spots violets, de grandes parois de verre, des escaliers de marbre, de longs rideaux transparents qui retombaient au centre de la salle, des cages de fer avec des danseuses à l'intérieur, ... Je n'avais jamais connu pareil endroit. Remarquant mon émerveillement, Erik vint auprès de moi tout en ricanant et me flanqua un coup de poing amical dans l'épaule.

          ▬ Tâche de ne pas rentrer puceau, mon vieux ! M'a-t-il lancé, en pointant du doigt l'assemblée qui dansait dans une anarchie complète. Je compte sur toi.

          Je fis mine d'être amusé par sa réflexion, avec un sourire amer, et nous descendîmes pas à pas les immenses escaliers de marbre, jusqu'à atteindre la piste de danse. Les bars, qui se trouvaient sur les deux extrémités de la salle, débordaient déjà de personnes qui commandaient, sirotaient leurs boissons ou discutaient. Je ne me sentais pas du tout dans mon élément ici. Cette boule d'angoisse encore inconnue dans mon organisme se mit à se former à l'intérieur de mon ventre, provoquant des crampes.

          Mais enfin, pourquoi étais-je si méfiant avec cet endroit ? Il allait se passer quelque chose. Quelque chose qui me dépassait amplement et cela me faisait très peur.

NekorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant