J'entrouvris légèrement la porte de mon appartement, m'assurant de l'absence d'Erik dans mon salon, et pénétrai dans la pièce. Je retirai méticuleusement chacune de mes couches, comme mon écharpe, mon bonnet, mes gants et ma longue veste qui m'arrivait aux genoux. Un détail attira automatiquement mon regard. Quelque chose avait changé ici. Ma table basse était vide, tout comme mon canapé et mon sol, et ma vaisselle avait été entièrement rangée. Une odeur fraîche de javel et de doux parfum me chatouillait les sinus. Après avoir une dernière fois admiré mon nouveau chez-moi, j'entrai silencieusement dans ma chambre, sans prendre la peine d'allumer la lumière et de réveiller son occupant.
Malgré l'obscurité qui envahissait la pièce, je pus distinguer assez nettement la silhouette d'Erik, enroulé dans la couverture, le souffle paisible et le corps complètement immobile. Il semblait mis à l'arrêt : lui qui était toujours aussi énergique !
Je m'assis sur le bord du lit, observant avec peine les traits de son visage, comme fasciné par le sommeil. Cela faisait un long moment que je n'avais plus vu quelqu'un dormir ou n'avais pu moi-même trouver le sommeil aussi facilement que les autres. Je pensais toujours à tout et n'importe quoi lorsque je me retrouvais seul dans ma chambre. Je m'inquiétais, me posais des questions, me torturais encore et encore l'esprit, jusqu'à ce que folie s'en suive. Et puis, il y avaient les cauchemars aussi ... Ces enfoirés de cauchemars qui continuaient nuit par nuit à se manifester, de plus en plus réels et puissants.
C'était toujours le même en plus.
Alors que j'étais perdu dans mes pensées, le corps d'Erik fût pris d'un puissant soubresaut et sa respiration devint soudainement plus saccadée. Il se jeta sur la table de chevet et alluma la lampe, le regard craintif. En me reconnaissant, il poussa un long soupir de soulagement.
▬ Merde, Hiro. Tu m'as fait peur ... Seigneur ... A-t-il chuchoté, comme si quelqu'un d'autre dormait dans la pièce et qu'il risquait à tout moment de le réveiller.
Il s'assit sur le lit, laissant retomber la couverture qui l'enrobait au niveau de ses hanches, dévoilant son ventre légèrement plus rond que je ne l'aurais imaginé.
▬ Depuis quand tu regardes les gens dormir, toi ? A-t-il ricané.
Je soufflais du nez, amusé par sa réflexion, et s'enquis :
▬ Au fait, merci pour le nettoy...
Je m'interrompis net dans mes remerciements, après avoir tourné la tête vers le mur de ma chambre qui était entièrement vide et blanc. Plus aucune carte, photo, article, ... Tout mon travail avait disparu. Je restai figé sur place, le souffle court, alors que je sentais Erik devenir brusquement plus nerveux.
▬ Ouais, hum ... pour ton mur ... Ne t'en fais pas, toutes tes affaires sont triées et empilées sous ton bureau mais je me suis dit que ... qu'il fallait que tu passes à autre chose. Et avoir constamment cela sous le nez n'allait jamais t'aider à avancer dans la vie ...
▬ Je ne t'ai pas donné l'autorisation de toucher à mes affaires. Ai-je grogné, le ton menaçant, le faisant légèrement s'écarter de moi, peureux. Sais-tu combien de temps cela m'a pris pour composer tout ce parcours ? Je n'ai plus qu'à tout recommencer ...
▬ Traquer un psychopathe, un tueur en série n'est en rien ta profession, Hiro. Il faut que tu laisses couler. Ou il t'arrivera très certainement malheur.
▬ Pitié, Erik, ne commence pas à me faire la moral à nouveau ...
Je me levai péniblement, les bras le long du corps, et m'agenouillai au pied de mon bureau, attrapant le tas de paperasse classé. Je l'entendis se lever telle une furie derrière moi et il apparut rapidement à mes côtés, s'asseyant sur le sol, uniquement vêtu de son caleçon.
▬ Hiro, écoute-moi ... Cela ne ramènera pas ton père. Et tu le sais, au fond de toi.
▬ Je ne cherche pas à le ramener.
▬ Te venger ne t'aidera pas à te sentir mieux. Qu'aurait-elle pensé ?
Je m'immobilisai, comme s'il venait de me donner une décharge électrique. Ne parle pas d'elle ... Ne parle surtout pas d'elle ...
▬ Ta mère n'aurait jamais voulu que ...
Il s'interrompit brusquement, après avoir baissé le regard vers mes poings serrés, posés sur mes cuisses, ainsi que ma tête baissée, cachant mes yeux avec mes mèches brunes. Ferme-la, ferme-la ... Erik soupira longuement, comprenant que ce n'était en aucun cas le sujet à aborder avec moi. Il était sur le point de se relever et de partir de cet appartement, mais je pris la parole, le clouant au sol.
▬ Tu ne sais pas ce qu'il s'est passé, Erik. Ni comment cela s'est passé. Tu ne connais rien de cet incident. Tout ce que tu sais, tu l'as appris de la presse : même pas de moi.
Il baissa la tête, vaincu.
▬ Cela a dû être atroce.
▬ C'est bien la preuve que tu ne comprends rien ...
Il posa sa main contre ma nuque, en signe de réconfort, alors que je fixais la première photo du tas de paperasse : ils s'agissaient des draps beiges de la chambre de mon père, recouverts d'une énorme tache rougeâtre, presque brune, qui avait une légère forme humaine. Je ne voulais que personne ne soit au courant que j'étais le fils de la victime ce soir-là. Ce fût pourquoi j'avais toujours cherché à me fondre dans la masse, à ne pas trop souvent donner mon prénom et mon nom de famille, ainsi que ma carte d'identité.
Erik avait fini par faire le rapprochement au bout d'un an et demi d'amitié : Hiro Okun. Le pauvre orphelin dû au meurtre sordide de son père. Il ne lui aura fallu qu'une seconde pour comprendre lorsqu'il était tombé nez à nez avec une de mes factures que j'avais laissée traîner sur le plan de travail. Il y était inscrit mon nom de famille. Cela lui a fait un énorme choc. Il avait eu du mal au début à l'accepter mais il a fini par de nouveau agir normalement en ma présence, comme je lui avais tant demandé. « Ne me vois pas comme un putain d'attardé, une pauvre victime à plaindre, un orphelin abandonné, surtout, ne me vois jamais comme ça ! » Lui avais-je même un jour crié.
Il a accepté mon état, mon passé, et n'a jamais changé sa vision sur moi jusqu'au jour d'aujourd'hui. Et pour cela, je ne le remercierai jamais suffisamment.
▬ Bon, je vais aller me coucher dans le canapé, maintenant que je suis éveillé. A-t-il s'enquit. Comme ça, je te laisse ton lit.
▬ Arrête tes conneries. Va te recoucher dans le lit.
Il fronça les sourcils en me scrutant attentivement, alors que j'attrapais délicatement le tas de paperasse.
▬ Je crois que tu as raison, Erik. Il faut que je me change les idées. Que je passe à autre chose. J'ai vingt ans maintenant. Cela fait sept ans. Il me faut une nouvelle vie.
Je sentais bien qu'il tentait de cacher sa joie, au fond de lui. Il poussa un long soupir de soulagement et laissa paraître un léger sourire. Il fallait que je m'arrête ici. Erik se leva silencieusement du sol et se dirigea vers ma salle de bain dans laquelle il se renferma directement. Moi, je m'exécutai à mon tour et me dirigeai dans ma cuisine, la gorge serrée et le coeur battant. Je me mis face à ma poubelle et appuyai à l'aide de mon pied sur le mécanisme, ouvrant le couvercle. Je regardais une dernière fois la première image, avec les draps tachés de sang, et laissais retomber le tas de papiers, tirant le sachet vers le bas sous le poids.
Je restai un instant immobile, face à la poubelle métallique fermée, et finis par me diriger vers la chambre à coucher où Erik était en train de s'allonger, prêt à se rendormir. Se rendant compte de ma présence, il leva les sourcils d'interrogation et je dis, la voix basse :
▬ Je serai là samedi soir pour la soirée.
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Nekor
Romance◣ Lorsque son père se fait assassiner sous ses propres yeux par un mafieux, Hiro développe en lui une forme d'obsession envers le tueur, lui qui avait toujours profondément détesté son unique parent. Il tentera par tous les moyens de retrouver l'ass...