27. La fin

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          Je courus à travers la pelouse du jardin, manquant à plusieurs fois de m'écrouler, sous mes pas si fragiles que mes jambes ne pouvaient à peine entreprendre. Nombreux étaient les corps qui étaient triés sur le sol, emballés de bâches blanches, tandis que des enquêteurs et des scientifiques examinaient les lieux. Une femme, en m'apercevant, s'interposa entre moi et la scène, les bras tendus, m'arrêtant dans ma course. 

          ▬ Hé, jeune homme ! C'est une scène de crime, ici. Vous ne pouvez pénétrer en ces lieux.

          ▬ Vous ne comprenez pas, je connais les gens qui habitent ici, je ...

          ▬ Quel est votre nom ?

          Je me tus brusquement. Je ne pouvais lui donner mon nom : c'était une enquêtrice. Elle remonterait forcément jusqu'à Nekor qui aurait tué mon père et je ne pouvais lui imposer tels risques, même si au fond de moi, je commençais à le haïr de tout mon coeur. Je jetai un oeil par-dessus l'épaule de la femme qui attendait toujours sa réponse et reconnus, au loin, la silhouette excentrique et frêle de Teresa qui parlait avec des policiers, notant probablement sa déposition. Elle portait un cache-oeil noir sur son visage. Mon interlocutrice claqua des doigts, afin de me tirer de ma rêverie, et je la regardai enfin dans les yeux.

          Soudain, je me mis à courir vers Teresa, prenant de court la femme qui ne put me stopper, et arrivé à la hauteur de cette dernière, je lui attrapai les épaules, pour qu'elle se retourne vers moi. En me reconnaissant, elle afficha un visage heureux et attristé à la fois, avant de me sauter dans les bras. Je n'aurais jamais cru être aussi heureux de la voir. L'enquêtrice s'arrêta à notre hauteur, se rendant compte que je n'avais pas menti et que je connaissais bien les habitants. J'entendis Teresa qui se mit à pleurer dans mon épaule, le corps entier pris de tremblements nerveux. Je la repoussai légèrement afin de voir son visage, désormais taché de maquillage, et lui demandai :

          ▬ Dis-moi, qu'est-ce qu'il s'est passé ?

          ▬ C'est la Siera, que crois-tu ? Ils ont à nouveau attaqué cette nuit ... Heureusement, je n'étais pas sur les lieux, je suis arrivée vers quatre heures du matin, après un appel horrible de Nekor ...

          ▬ Où est-il ?

          Son regard s'attrista davantage et elle éclata en sanglots, les yeux noyés de larmes, avant de se retourner vers un des corps allongés sous les bâches blanches. Mon coeur rata un bond et je courus vers le sac mortuaire où il devait se trouver. Un homme m'attrapa le bras mais je pus me dégager d'un coup d'épaule, avant de me jeter sur le cadavre, l'enlaçant de mes bras. Son corps semblait désarticulé à l'intérieur, paralysé par le froid et sa peau qui durcissait. Je me mis à pleurer si fort que je crus en perdre ma voix, tandis que les policiers me soulevaient du sol, m'empêchant d'ouvrir le sac. C'était peut-être mieux ainsi. Si je l'avais vu complètement ensanglanté, le regard sans vie et froid, je ne m'en serais jamais remis.

          Teresa courut vers moi et m'attrapa le visage entre ses mains pour que je la regarde dans les yeux.

          ▬ Hiro, je comprends ta peine mais tu ne peux pas faire ce genre de choses ... Il faut que ... (elle se mit à pleurer avec moi) Il est mort, ok ? On ne peut plus rien faire pour lui ... Mais ...

          Elle baissa les yeux et sortit de sa poche de pantalon une clef USB grise métallique. Elle prit ma main et la posa dans le creux de ma paume, avant de m'obliger à refermer les doigts autour.

          ▬ Il m'a appelé hier soir pour que je vienne chercher ça sur les lieux avant la police. A-t-elle chuchoté, pour ne pas que les gens autour de nous entendent. Il avait l'air de vouloir absolument que tu vois quelque chose à l'intérieur de cette clef. Il faut que tu jettes un coup d'oeil aux fichiers, d'accord ?

          ▬ D'accord ... Ai-je soufflé, la voix vibrante, tout en serrant l'objet dans ma main, comme s'il s'agissait d'un trésor.

          L'enquêtrice revint vers moi.

          ▬ On va vous demander de quitter les lieux maintenant, jeune homme. Nous avons des questions à poser à certains témoins, mais vous n'êtes pas concerné.

          J'acquiesçai, tandis que Teresa enroulait ses bras autour de mon cou, me serrant contre elle. Elle me souffla un « Prends soin de toi, Hiro ... » avant de s'écarter de moi et de retourner auprès des policiers. Je revins le pas trainant et titubant jusqu'au taxi qui m'attendait toujours, avec Erik posté devant. En me voyant arriver, le visage meurtri, il ne posa aucune question, se contentant de m'ouvrir la portière. Au moment de grimper à bord du véhicule, je manquai de m'écrouler au sol, à bout d'énergie, mais mon ami me retint.

          Il me fit monter et referma la portière derrière moi. Je jetai un oeil par la fenêtre, tandis que le taxi reprenait sa route, éloignant davantage Nekor et notre histoire de moi. C'était fini. Tout était fini. Il n'y avait plus de Nekor, ni de relation entre nous deux ...

          ▬ Qu'est-ce que c'est ? Se risqua Erik à demander, en pointant l'objet dans ma main.

          Je baissai les yeux vers la clef USB logée précieusement dans le creux de ma main et la pris entre mes doigts.

          ▬ C'est ... u-un message qu'on aimerait me faire passer ... apparemment ...

          Erik fronça les sourcils.

          ▬ Tu veux dire que c'est le tueur de ton père qui t'a donné ça, pas vrai ?

          J'acquiesçai, ne pouvant plus prononcer le moindre mot, tandis qu'Erik soupirait d'agacement. Il ouvrit sa fenêtre, laissant entrer une bouffée d'air frais dans l'habitacle, et sans prévenir, m'arracha la clef USB des mains. Il la jeta dehors, avant que je ne puisse réagir. Je me suis retourné pour la voir mais la voiture qui nous suivait roula dessus.

           ▬ Erik ! Me suis-je écrié, les larmes au bord des yeux.

          ▬ Tu me remercieras, Hiro. C'est toxique tout ça. Tu l'as dit toi-même, tu n'étais qu'un jouet à ses yeux. Il est temps que tu reprennes ta vie en main, maintenant. Loin de lui.

          Même si ses paroles me faisaient atrocement mal, je ne pouvais lui en vouloir. Au fond de moi, je savais qu'il avait raison. Il fallait que je vive maintenant. Nekor ne m'aimait pas et il ne m'aurait jamais aimé. Il l'avait dit lui-même lorsqu'il avait tenté de me noyer dans la piscine. J'essuyai mes larmes, me rendant compte que je me sentais brusquement plus léger.

          Oui, j'étais enfin libre ...

NekorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant