14. La jalousie

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          Je tournai la tête vers Nekor qui était en train de chantonner, tout en observant le paysage défiler par la fenêtre de la voiture. Il avait encore les mains recouvertes de sang séché qu'il s'amusait à gratter avec ses ongles pour en retirer les taches qui devenaient grumeleuses. J'étais assis à sa gauche, sur la banquette arrière, les poings serrés et les cuisses collées l'une contre l'autre. Je finis par me risquer à briser le silence, l'obligeant à stopper son chant.

          ▬ Cet homme qui est mort ... C'était ta cible ?

          ▬ Oui. C'est toujours plus amusant de tuer quand on joue. Alors, on a misé nos vies. Et j'ai gagné.

          Je tournai la tête vers lui, les sourcils froncés.

          ▬ Et si tu avais perdu ? Ai-je demandé.

          ▬ Je ne perds jamais aux jeux.

          Je voulus ouvrir la bouche à nouveau mais me ravisai, me rendant subitement compte d'un détail. Cela expliquait pourquoi il était si déçu que les deux hommes aient refusé de jouer avec lui pour gagner ma virginité. Il savait que dans tous les cas, il remporterait la partie et aurait droit à me « baiser sauvagement et sans retenue » comme il l'avait si joliment dit. Il voulut me souffler quelque chose à l'oreille, les doigts agrippés autour de sa ceinture, prêt à la retirer pour probablement tenter quelque chose auprès de moi, mais le conducteur l'interrompit, le surveillant dans le rétroviseur tel un enfant :

          ▬ Patron. Ne vous détachez pas.

          Il pouffa, en s'écriant :

          ▬ Si je meurs, c'est pas ton problème, John.

          ▬ Si, justement.

          ▬ La mort est plus douce que la vie. A-t-il cité, en observant le ciel, par le toit ouvrant.

          Nekor tourna la tête dans ma directement, le regard brusquement plus sérieux, faisant disparaître son sourire en une seconde, et il me demanda :

          ▬ D'ailleurs ... Comment se fait-il que tu sois ici, toi ?

          ▬ Je ne voulais pas rester à la maison.

          ▬ Je ne te demande pas pourquoi mais comment. Qui t'a amené à moi ?

          Mon sang se glaça dans mes vaisseaux. Pouvais-je lui dire que sa cousine m'avait amené jusqu'ici ou allait-il s'en prendre à elle ? Je n'avais nullement envie qu'elle paie par ma faute, elle qui avait si peur de son cousin. En attendant ma réponse, Nekor ouvrit sa fenêtre et passa sa main à l'extérieur, refroidissant l'habitacle dont l'air commençait à devenir irrespirable. Que dire ? Lui mentir ? Mais s'il apprenait la vérité par après, il m'en voudrait beaucoup. Je ne savais pas encore de quoi il était capable envers moi. Cela lui briserait sûrement le coeur. 

          ▬ J'ai ... J'ai forcé ta cousine à m'y emmener. Elle m'a bien dit qu'elle refusait d'y prendre part, car elle ne voulait pas que je t'embête sur ton lieu de travail. Mais je me suis entêté et elle s'est sentie oppressée. Alors, elle m'a amené à toi.

          Au fond, ce n'était pas entièrement faux. C'était même pour la majorité plutôt vrai. Il se figea, fixant toujours le ciel, comme réfléchissant à un détail qui l'avait échappé.

          ▬ Hum ... ma cousine ... A-t-il commencé, les yeux plissés. C'est ...

          Non, ne me dites pas qu'il ne voyait même pas qui était sa cousine ?

          ▬ Teresa ?

          ▬ Je suppose ... Ai-je avoué. Je ne connais pas son nom.

          ▬ C'est une pute.

          Il tourna la tête vers moi, se rendant compte que je l'observais gravement, et il m'adressa un sourire pincé, comme fier de me l'avoir dit. Comment pouvait-il dire cela d'un membre de sa famille ? Surtout que je ne la trouvais pas si méchante que cela ! Elle avait son caractère, certes, mais qui ne l'avait pas dans cette famille ?

          ▬ Moi, je ne trouve pas ... Me suis-je risqué à balancer.

          Il me scruta d'un regard interrogateur, les lèvres entrouvertes, tentant de comprendre mes paroles.

          ▬ Non, mais je veux dire, c'est vraiment une pute. Une prostituée.

          Je me crispai, me rendant compte que je venais de faire une grosse bêtise. Il se redressa vivement dans son siège, le regard empli de folie et d'une autre forme de sentiment que je n'avais encore jamais vu dans ses yeux. Il me scruta de la tête aux pieds, cherchant à déchiffrer ce que cela pouvait bien signifier, et me demanda :

          ▬ Tu aimes bien Teresa ?

          ▬ Hum ... Je n'irai pas jusqu'à dire que je l'aime bien, mais elle ne m'a rien fait de mal, du moins. Pourquoi ?

          Il brandit sa machette vers moi, me la collant sous la gorge et me tétanisant sur place.

          ▬ Tu aimes les putes, Hiro ? C'est ton genre de fille, ça ? Ne me dis pas qu'elle a fait son numéro de charme avec toi ... Une pute, ça le fait avec tout le monde ! 

          ▬ Je crois ... qu'on s'est mal compris ... Teresa ne m'intéresse ... pas du tout ...

          Il baissa lentement son arme, me permettant enfin de respirer profondément et de détendre un peu mes muscles. Venait-il réellement de me faire une crise de jalousie, là ? Parce que j'avais osé défendre sa cousine lorsqu'il l'avait soi-disant traitée de pute ? D'un côté, je trouvais cela adorable de sa part mais d'un autre côté, je commençais à avoir peur des représailles. Je n'aurais peut-être pas dû mentionner son nom. Il ne serait quand-même pas capable de s'en prendre à un membre de sa propre famille ... si ? Merde ... Il fallait que je tente de calmer le jeu.

          ▬ Je n'aime pas Teresa. A vrai dire, je n'aime pas les femmes, tout court. Elles ne m'ont jamais vraiment intéressé : même lorsqu'elles venaient m'accoster, je les repoussais. Je n'aime pas me sentir supérieur à un être : j'aime me sentir soumis et dirigé par quelqu'un de bien plus puissant que moi, bien plus grand et fort. Je crois que c'est ce genre de relation que j'ai toujours recherchée au fond de moi. C'est d'ailleurs pour cela que je t'ai tant cherché après la mort de mon père.

          ▬ Tu m'as cherché ? S'est-il étonné, subitement plus détendu.

          Teresa avait raison : ses sentiments changeaient vraiment du tout au tout.

          ▬ Durant sept longues années. Il fallait que je te retrouve. Pour te remercier. Et pour remplir impérativement la dette que je te devais.

          L'homme assis du côté passager éclata de rire, ne pouvant se retenir.

          ▬ Quel genre de type bizarre recherche un tueur en série par pur désir ? Qui a en plus tué son propre père ?

          Il voulut continuer à s'esclaffer mais Nekor attrapa brutalement sa ceinture et il tira dessus, l'obligeant à se taire. Il se mit à suffoquer, agrippant ses doigts autour du tissus coupant qui appuyait contre sa gorge. Nekor, lui, ne détachait pas son regard du mien. Un sourire vainqueur lui échappa.

          ▬ C'est pour cela que je t'apprécie autant ! S'est-il étonné, comme s'il venait d'avoir une révélation. C'est parce que j'ai enfin déniché la perle rare ... Les autres me craignaient. Alors que toi, tu me désirais.

NekorOù les histoires vivent. Découvrez maintenant