Chapitre 11

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La voix du tram annonçant mon arrêt me tire de mes souvenirs. J'essaie d'effacer le sourire
triste qui commençait à se former sur mes lèvres pour le remplacer par un plus joyeux, tout
heureuse de retrouver mon chez-moi et ses nouveaux locataires.


Mais quand j'ouvre la porte et que je trouve le petit, assis dans un coin du salon, perdu, dévasté,
un mauvais pressentiment m'écrase le cœur. Je cherche des yeux Thomas, l'appelant doucement, puis plus fort, sans réponse. Mon regard paniqué cherche dans tous les coins la silhouette à la fois élancée et musclée de Thomas, et finit par tomber sur une enveloppe, posée sur la table. Je me précipite, arrachant presque le papier pour l'ouvrir, et je tombe sur une somme d'argent assez conséquente, accompagnée d'une lettre :


Désolé de partir comme ça. J'ai des choses à régler, alors est-ce que tu pourrais t'occuper de Léo pendant un moment ? C'est un peu lâche, pardon, de te laisser un simple mot qui ne te laisse pas vraiment le choix...désolé. Pour certaines raisons, je ne peux demander à personne d'autre. S'il te plaît, prends bien soin de lui. Je trouverai un moyen de me faire pardonner à mon retour, donc tu peux m'en vouloir autant que tu veux pendant mon absence. Encore pardon, et merci.


Thomas



Il faut que je m'asseye. Vite. J'ai la tête qui tourne, certainement à cause du trop-plein de
déception, d'inquiétude, de colère et de questions sans réponses. Et moi qui me faisais une joie de passer du temps avec Thomas, comme avant... Surtout qu'il me laisse le gosse sur les bras, sachant pertinemment que les gamins, c'est pas mon truc.


D'ailleurs, en parlant de lui... Léo évite mon regard, visiblement gêné. Il se balance d'un pied
sur l'autre en regardant fixement le sol. Il lève soudain les yeux vers moi, certainement en quête
d'une explication à l'absence de Thomas. Explication que je ne peux pas lui fournir. Je n'y
comprends rien, bon sang ! Et ça me met hors de moi. Jusqu'à présent, ma vie était simple au
possible : je n'avais qu'à me préoccuper de mes études et tenter d'être sociable, ou du moins feindre de l'être. Mais du jour au lendemain, je me retrouve avec un enfant sur les bras. Un enfant, bordel !


Je n'ai absolument aucune idée de comment m'y prendre, et l'attitude distante du petit ne
m'aide pas vraiment. Si Thomas ne m'avait pas assuré qu'il n'était pas muet, j'aurais été persuadée du contraire. Je me demande bien comment font ses parents pour supporter ça... Brutalement, je me mords la lèvre, me balançant mentalement une claque monumentale. Un instant, j'ai oublié ce que Thomas m'a avoué la veille, pendant l'unique moment où Léo s'est séparé de lui pour aller aux toilettes. Comment ai-je pu oublier son air effondré quand il m'a demandé d'éviter de mentionner les parents du petit ? D'éviter de lui rappeler le drame qui leur avait coûté la vie ?


Heureusement que je n'ai pas pensé à voix haute... Je me rends alors compte que je dévisage
Léo depuis un moment maintenant. Embarrassé, il triture le t-shirt de Thomas, beaucoup trop grand pour lui.


— Il va falloir qu'on te trouve des vêtements...


Le son inhabituellement grave de ma propre voix me surprend, et fait sursauter le gamin. Il
commence à me stresser à être sur les nerfs comme ça... Surtout qu'il refuse toujours de dire quoi que ce soit, et bien que je m'efforce d'être mature, ça me vexe un peu.


D'un côté, je sais que c'est une réaction tout à fait naturelle, puisque je ne suis qu'une étrangère à ses yeux. Un nouveau visage, une inconnue. Malgré ça, sa façon de me repousser sans cesse a quelque chose de blessant. Qu'il ne daigne même pas m'adresser un sourire, pas même un mot, m'énerve. Je sais pourtant que c'est stupide, j'ai bien conscience d'avoir une réaction complètement puérile, mais je n'y peux rien. Puérile et rancunière, mes plus gros défauts.
Alors je fais ce que je sais faire le mieux dans ce genre de situation : je boude. Si monsieur ne  consent pas à m'adresser la parole, je ne lui parlerai pas non plus. J'ai l'air d'une vraie gamine,
mais je m'en fous. Je ne sais pas quoi faire d'autre avec ce gosse. Un silence pesant s'installe  dans le petit appartement, signal de départ de notre jeu du silence.

Quitte à tout sacrifierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant