Chapitre 69

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Je reporte mon attention sur le bel Arabe à genoux devant ma porte.

Le courant n'est jamais vraiment passé entre nous, mais après ça, c'est clair, je le déteste définitivement. Il a beau être dans la même unité que Thomas, ainsi que son meilleur ami, leurs caractères sont diamétralement opposés. Thomas est aussi doux, souriant, et généreux qu'Isham est violent, taciturne et égoïste. Il m'a détestée dès la première fois qu'il m'a vue, sans que je sache pourquoi. Il n'était gentil qu'avec Thomas ; il n'y avait qu'avec lui qu'il se comportait de façon tout à fait joviale et enjouée.

J'ignorais la raison pour laquelle le bel Algérien se comportait si différemment avec Thomas ; mais connaissant ce dernier, je me doutais que c'était sa bienveillance et sa gentillesse naturelles qui avaient eu raison des barrières de ce type constamment en colère contre le monde entier.

Bon, par contre, avec moi, le courant n'était jamais vraiment passé. Isham était venu une fois à l'appartement, à la demande de Thomas, tout heureux de me présenter son meilleur ami. Isham et moi avions fait bonne figure, pour faire plaisir à Thomas ; mais parfois, on ne peut pas s'entendre avec tout le monde. Nous n'avions aucune affinité, Thomas était notre seul point commun.

Je chasse mes souvenirs pour me concentrer à nouveau sur Léo. Gardant le jeune militaire à genoux dans l'entrée dans mon champ de vision, je prends Léo dans mes bras, dans un geste à la fois protecteur et réconfortant.

Isham finit par se relever péniblement, se tenant toujours l'entrejambe à deux mains. Vu les veines qui ressortent sur son front et son cou, il est énervé. Très énervé.

Mais moi aussi.

— Je peux savoir ce que tu fous chez moi, et de quel droit tu te permets de frapper un enfant ?

Merde. Ma voix tremble. Je pensais me contenir, mais ses traits durs et marqués par la rage m'impressionnent plus que je ne le voudrais. Avec un peu de chance, il pensera que ma voix tremble de colère. Je rassemble mon courage, déterminée à ne pas détourner mon regard du sien. Après une longue bataille, il pousse un soupir, fait quelques pas, tire bruyamment une chaise vers lui et s'y affale. Il pose ses coudes sur ses cuisses, et enfouit son visage dans ses mains avant de s'immobiliser complètement.

Je retiens mon souffle, perplexe. Léo tire sur mon haut, essayant d'attirer mon attention. Il a l'air tout aussi perdu que moi. Je tente un faible sourire, rassurée qu'il ne saigne plus. Puis je remarque que, sous sa coupure, une bosse commence déjà à se former et à virer au violet. Une boule d'angoisse se forme dans ma gorge, et ma colère envers Isham redouble. S'il pense m'avoir avec son air abattu, il se fourre le doigt dans l'œil. Je ne lui pardonnerai pas.

Alors que je me relève, évitant le moindre geste brusque susceptible de sortir le militaire de sa torpeur, il m'adresse enfin la parole, dans un murmure désespéré :

— Dis-moi où est Thomas...

À la fois rassurée et angoissée par ce calme soudain, je réponds sur le même ton fatigué :

— Je sais pas.

Il frappe alors la table du poing, violemment. Je sursaute. Léo aussi, avant de s'accrocher à ma jambe valide. Puis, se ravisant, il se place devant moi, écartant les bras comme pour me protéger. Interdite, je sens ma mâchoire se décrocher. Ce gosse alors... Même Isham, qui a relevé la tête, semble ébranlé. Et il doit remarquer l'évolution de la blessure de Léo, puisqu'un éclair de culpabilité déforme son visage. Il enfouit de nouveau sa tête dans ses mains.

Estimant que l'orage est passé, je récupère le nécessaire à pharmacie dans la salle de bain, et m'installe prudemment à la table de la cuisine, à distance raisonnable d'Isham, qui ne bouge plus.

J'installe Léo à côté de moi, et je désinfecte sa coupure avant de fixer une compresse.

Je ne dis rien, mais je ne décolère pas. En temps normal, je me serais recroquevillée sur ma chaise, apeurée, mais pas là. Là, je me tiens droite. Je fixe Isham avec insistance, me délectant de la montée d'adrénaline que mon ras-le-bol provoque. Mon cœur accélère, mes bronches se dilatent, mon sang afflue. Ce que ça fait du bien ! J'arrête de subir, je veux qu'on m'explique. Ravie de faire enfin la connaissance de Dark Linda, j'augmente encore un peu l'intensité de mon regard, la tension de mes muscles, et Isham finit par relever la tête, vrillant ses yeux aux miens.

— Il s'est passé quoi ?

Ma voix est sourde. J'adore ! Isham cligne plusieurs fois des yeux, la bouche entre-ouverte, et même Léo semble déstabilisé.

— Alors ?

Le bel Arabe semble se ressaisir, et passe une main dans ses cheveux, comme le ferait Thomas, avant de pousser un long, long soupir.

— Thomas... est totalement introuvable. La dernière fois que je lui ai parlé, il m'a dit qu'il allait chez toi quelques jours. Depuis, il n'est pas revenu. Même pas un message, rien. J'ai cherché partout.

Il s'arrête un instant. Pour reprendre immédiatement, de plus en plus fort :

— La seule chance qu'il me reste, c'est que tu saches où il est parti. Alors, dis-le moi ! Je m'en fous qu'il t'ait fait promettre de ne rien dire ou quoi ! Il serait jamais parti sans t'informer ! Alors dis-moi, merde !

Je suis autant flattée de l'image que donne notre relation qu'écœurée de ne pas être si importante que ça, finalement, puisque Thomas ne m'a définitivement rien dit.

Je baisse la tête, abattue, sentant Dark Linda battre en retraite ; elle fait brutalement demi-tour, et je relève la tête :

— Non, il ne m'a rien dit ! J'aimerais bien savoir, moi aussi ! C'est plutôt à toi de m'expliquer ce qu'il se passe, tu dois forcément être au courant de quelque chose ! Vous êtes toujours ensemble ! Dis-moi pourquoi tout part en vrille !

— Mais j'en sais rien non plus !

Le ton monte de plus en plus et, avant de nous en rendre compte, nous sommes debout, menaçants, à quelques centimètres l'un de l'autre. Malgré ma jambe blessée, je me tiens droite face à lui, sans appui. C'en est trop pour Léo, qui ferme les yeux et se couvre les oreilles. Ça suffit à me calmer, instantanément. Isham en profite pour prendre la fuite, claquant la porte de l'appartement derrière lui, avec un « Fais chier ! » retentissant, me laissant médusée au milieu du salon.

Quitte à tout sacrifierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant