Chapitre 86

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Le soir venu, je suis fin prête. Tendue au possible, mais prête. J'attends ce moment depuis trop longtemps.

Je m'assieds à côté de Nassira dans un des deux 4x4, Léo sur mes genoux. Le véhicule démarre, projetant un nuage de poussière. La route, mal entretenue, est parsemée de trous et de bosses qui secouent sans cesse le véhicule. Quand nous arrivons, j'ai mal partout, mais ma douleur s'envole quand je me concentre sur ce que nous avons à faire.

Nous sommes perdus au milieu de nulle part, entourés d'arbres gigantesques. La végétation est tellement dense que j'ai du mal à apercevoir le grand bâtiment en bois au loin. Avec la nuit qui s'épaissit de plus en plus, les cris d'animaux se font plus oppressants. Je frissonne en prenant conscience que Léo va devoir rester tout seul ici. Je fonce le rejoindre, laissant Isham et les autres camoufler le premier 4x4 à l'aide de la végétation alentour.

Étonnamment, Léo ne semble pas trop affecté par la situation. Ça ne me rassure qu'un peu. Je l'aide à s'installer confortablement à même le sol du véhicule, pour qu'il ne soit pas visible de l'extérieur. Il obéit sans faire d'histoire, tenant précieusement sa peluche contre lui. J'ai bien fait de le laisser l'emmener...

Sur les conseils d'Isham, je lui laisse aussi une bouteille d'eau et un sifflet : si jamais il est en danger ou si quelqu'un découvre les véhicules, nous serons avertis. Je prie pour que ça n'arrive pas, mais mieux vaut être prudents. Une fois que tout est prêt, il fait déjà bien nuit. La lune, presque pleine, éclaire suffisamment pour se passer des lunettes infrarouges.

Au signal d'Isham, nous nous élançons comme un seul homme.

Je cale mon rythme sur celui de Nassira, juste devant moi. Elle se dirige immédiatement vers l'endroit indiqué sur la carte, pendant qu'Isham et le reste du groupe se dirigent silencieusement vers le gros bâtiment. Je les laisse faire et me concentre sur la jeune femme, qui ralentit pour se déplacer à la manière d'un félin. Les rayons de la lune se reflètent élégamment sur sa main artificielle, manquant de m'hypnotiser, mais des échos de voix me ramènent vite à la réalité.

Mes yeux sont assez habitués à l'obscurité partielle pour distinguer trois silhouettes devant ce qui ressemble à... une porte ? Juste une porte, inclinée vers le sol, encadrée par des murs qui semblent s'enfoncer sous terre. Un bunker ? Mais le problème ici, ce sont les trois types. Ils semblent détendus, donc nous avons encore l'avantage de la surprise, mais nous ne sommes que deux. Voire une et demie, si on prend en compte mon niveau incertain. Nassira ne pourra pas s'en occuper seule tout en me protégeant. Je me tourne vers elle, la bouche ouverte sur une question muette. Mes doutes disparaissent quand je vois la résolution dans ses yeux. Pour la première fois, je la vois sourire, d'un sourire carnassier, sauvage. J'en ai le souffle coupé. Je ne sais toujours rien d'elle, mais je sens qu'elle est faite pour se battre. Ça se voit à ses yeux, brillants d'excitation.

Je n'ai pas le temps de m'attarder sur les tressaillements qui la parcourent : elle s'élance, sans bruit, à une vitesse ahurissante. Au loin, au niveau du bâtiment principal, un coup de feu et des cris s'élèvent. Grâce à ça, les trois gardes, surpris, ne remarquent pas tout de suite l'ombre qui leur fonce dessus. Nassira neutralise sans peine le premier, d'un coup dans la nuque. Le deuxième, bien que surpris, est assez réactif pour bloquer son attaque. Il s'apprête à riposter, mais c'était sans compter sur mes jambes, apparemment dotées d'une volonté propre : je m'élance vers eux, bousculant le troisième, armé d'un couteau, qui s'avançait vers Nassira. Surpris, le deuxième s'immobilise, juste assez longtemps pour que Nassira lui assène un coup un plein plexus, lui coupant la respiration.

Moi, j'essaie de repousser de toutes mes forces la lame qui me prend pour cible. Mettant en application mon entraînement, j'arrive à tordre le poignet du troisième et à le désarmer. Fière de ma petite victoire, je ne vois pas le coup venir. Je me retrouve au sol, sonnée.

Alors que le type s'apprête à se jeter sur moi pour finir le boulot, Nassira arrive par-derrière. Bloquant son bras droit autour de son cou, elle l'empêche de respirer, et il finit par s'évanouir, par manque d'air. Avec le contrecoup de ma montée d'adrénaline, mes jambes ne me répondent plus. La jeune femme me tend la main pour m'aider à me relever.

— Bien joué.

Ce ne sont que deux petits mots, mais venant d'elle, j'ai conscience que c'est un énorme cadeau. D'autant plus qu'elle sourit. Pas un sourire comme celui de tout à l'heure, un vrai sourire, qui vacille quand son regard se pose au-dessus de mon œil gauche. Par réflexe, je porte la main à mon visage.

Un liquide chaud et poisseux colle à mes doigts. Ah. Je me disais bien que j'avais un peu mal, mais je ne pensais pas que mon arcade sourcilière s'était ouverte. Nassira me tend un mouchoir, et je crois déceler un peu d'inquiétude sur son visage. Je la rassure d'un sourire. Ses épaules se relâchent un instant, jusqu'à ce qu'un des gardes émette un gémissement. Nous nous retournons vers le bruit en même temps. Heureusement, il est toujours inconscient. Par précaution, Nassira sort des cordes et du scotch de son sac. Elle me fait comprendre qu'elle s'occupe d'eux, et me demande silencieusement d'aller vérifier que Thomas est bien à l'intérieur.

Quitte à tout sacrifierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant