Chapitre 34

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Il doit s'y attendre, aussi, à mes questions. Voire à une bonne engueulade. Je me contente de soupirer, camouflant du même coup mon inquiétude. Je vais lui chercher un verre d'eau, qu'il vide d'un trait. Entendant au loin la porte de chez Marine s'ouvrir, il se redresse péniblement, et réussit même à afficher un grand sourire pile au moment où Léo fait irruption dans la pièce, ses petites mains chargées de sachets de café. Il me les refourgue avant de se précipiter dans les bras de Thomas, qui l'y accueille volontiers.

Les voir comme ça m'attendrit tout autant que cela ravive ma colère. Pourquoi il ne veut toujours rien me dire ? Je suis donc si peu digne de confiance ? Quand bien même, je pense mériter un minimum d'informations... D'ailleurs, son état ne fait qu'ajouter des interrogations à ma liste déjà bien assez longue.

Et puis moi, dans tout ça ? Je subis et j'attends que monsieur soit dans de bonnes dispositions ? Non, non et non. Moi aussi, je suis fatiguée, à me torturer les méninges pour chercher une logique à toute cette histoire. Je ne peux pas me contenir plus longtemps. Je me plante devant Thomas, bras croisés, avec la ferme intention de ne pas céder, cette fois :

— Franchement, t'abuses. Tu comptes m'expliquer ce bord... ce bazar un jour ? Tu penses que tu peux me laisser un gosse sur les bras comme ça ? T'as au moins une idée de ce que j'ai dû suppor-

Je m'arrête net en voyant qu'à chacun de mes mots, Léo se crispe un peu plus. Thomas me jette un regard suppliant, m'implorant d'arrêter. J'en perds mes mots, et ma colère. Et je me sens coupable.

Je détourne brutalement le regard, refusant de reconnaître ma « défaite », laissant une mèche de cheveux recouvrir mon visage. Je ne sais même pas quelle expression avoir, quelle attitude adopter. 

Je suis complètement perdue. Je me sens lasse, d'un coup. Ça fait beaucoup trop d'émotions pour moi. Je sens une boule se former dans ma gorge, et les larmes commencent à me monter aux yeux. J'attendais tellement de le revoir, pourquoi il faut que ça se passe comme ça ? J'entends Thomas demander à Léo de partir quelques instants. Je ne bouge pas. Mais il m'attrape par le bras, et articule doucement :

— Désolé... encore. C'est vraiment... compliqué.

Il m'attire à lui et me fait asseoir sur le canapé, à ses côtés. Timidement, il écarte les cheveux de mon visage et me force à le regarder.

— Pardon. J'avais vraiment pas le choix. Il s'est passé des choses dont je ne peux pas te parler, pas encore. C'est assez grave, et je ne veux pas t'impliquer...

Bon dieu, sa voix grave m'avait manqué. Mais elle est si faible, si fatiguée que je pourrais presque accepter tout ça. Presque. Je lui réponds avec plus de hargne que je ne le voudrais :

— Trop tard. Tu m'as déjà impliquée, tu te souviens ?

J'essaie de ne pas détourner le regard, mais il a l'air tellement peiné que je ne peux m'empêcher de baisser les yeux. Je sursaute en sentant la tête de Thomas se poser sur mon épaule. 

Ses cheveux me chatouillent quand je me penche vers lui pour l'entendre simplement dire :

— S'il te plaît... S'il te plaît...

Il a l'air si désespéré, comment est-ce que je suis censée résister ? Hésitante, j'enroule mes bras autour de sa taille, renonçant encore une fois à mes questions.

La frimousse de Léo ne tarde pas à réapparaître. Il nous dévisage curieusement, et je m'empresse de m'écarter de Thomas, gênée. Je bafouille quelque chose que je n'arrive même pas à comprendre moi-même avant de me réfugier dans la cuisine.

Thomas, ne me lâche pas du regard.

Malgré ses yeux qui sondent le moindre de mes geste, j'arrive à cuisiner quelque chose d'à peu près comestible. Une fois installés, Thomas engloutit le contenu de son assiette, sans un mot, encore plus rapidement que d'habitude. 

Le petit n'est pas complètement idiot ; depuis tout à l'heure, il a bien remarqué que quelque chose cloche. Il cherche visiblement à aider, à la hauteur de ses moyens. Soudainement, son regard s'éclaire et il charge sa fourchette avant de la diriger non pas vers sa bouche, mais vers celle de Thomas. Ce dernier, surpris, a un mouvement de recul, avant d'afficher un sourire capable d'éclairer la ville entière. 

Thomas se retourne subitement vers moi. Impossible de cacher mon sourire niais à temps. Le sien s'éclaire encore plus. Il l'a remarqué. Il a remarqué que je commence doucement à être raide dingue du gamin. Je le menace silencieusement, lui lançant un regard aussi noir que possible, et il rit doucement en reportant son attention sur Léo. 

Quitte à tout sacrifierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant