Chapitre 39

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Doucement, nous reprenions nos marques, discutant comme avant. Nous avions tant de choses à nous raconter que nous passions nos nuits à discuter. Le changement de personnalité de Thomas y était pour beaucoup : il était bien moins renfermé, presque extraverti. Faire partie de l'armée lui donnait confiance en lui, et il ne s'en cachait pas. Il semblait bien plus heureux, il souriait, riait, blaguait. Complètement à l'opposé du garçon que j'avais connu. Mais il restait gentil et prévenant, fidèle à lui-même. Il évitait les situations ou les phrases ambiguës, et j'avais fini par croire que ses sentiments avaient disparu. J'essayais de faire de même, de les refouler jusqu'à ne plus y penser.

Il était encore de repos quelques jours après la fin de mes vacances, alors je lui avais proposé de m'accompagner en cours. Tout curieux de découvrir un monde qu'il avait abandonné, il était venu avec enthousiasme. Il tournait la tête dans tous les sens avec une frénésie enfantine. Je sentais quelques regards se poser sur nous, sûrement attirés par le physique de Thomas, devenu clairement avantageux. Ou par sa démarche et sa carrure militaire, qui ressortait plus ou moins nettement parmi la foule d'étudiants.

À partir de là, il venait me voir dès qu'il avait des congés, assistant parfois aux cours en amphithéâtre. J'attendais avec de plus en plus d'impatience ses visites. Quand il était là, je me sentais plus forte, et je pouvais repousser mes soucis et mes démons. C'était lui qui mettait de la couleur dans mon petit monde. Et avant même de m'en rendre compte, j'étais retombée amoureuse de lui.

En hiver, je lui avais fait découvrir la petite forêt, située à quelques minutes de mon appartement. La neige rendait moins visibles les profonds fossés qui apparaissaient de-ci de-là, au détour d'un chemin escarpé. Il y avait d'autres itinéraires, mais je préférais ceux qui rendaient la progression difficile. Ils avaient comme un parfum d'aventure, me faisant retomber en enfance.

Nous avancions prudemment, pour finalement arriver devant le petit lac cerné par les bois. Il ne faisait pas assez froid pour geler toute l'étendue d'eau douce, mais une fine pellicule de glace se formait au bord de l'eau. Fascinés, nous étions restés un long moment à parler de tout et de rien, et nous n'avions pas vu le temps passer.

Il avait pourtant fallu rentrer. Mais, fatiguée et déconcentrée par le bruit d'un petit animal courant dans les fourrés, j'avais dérapé sur une plaque de verglas et j'étais tombée au fond d'un fossé. Thomas avait hurlé mon nom de toutes ses forces, avant de se précipiter pour me rejoindre. Je lui avais assuré que ce n'était rien, afin de calmer la panique que je lisais dans ses yeux. J'avais ri jaune de ma chute, honteuse, et avais tenté de me redresser avant de pousser un grognement de douleur : ma cheville me faisait un mal de chien. Je m'étais finalement levée, essayant de m'appuyer le moins possible sur ma jambe gauche.

J'avais fait quelques pas en boitillant, assurant à Thomas qu'il n'y avait pas à en faire un drame, avant que celui-ci ne s'accroupisse pour m'aider à grimper sur ses épaules. J'avais d'abord refusé, affreusement gênée, par ma bourde et par mon poids. Mais il avait été tellement insistant que j'avais fini par me résigner à grimper sur son dos. Il m'avait soulevé sans effort et m'avait ramenée comme ça jusqu'à l'appart. Et depuis ce jour, nous évitions de passer par ce genre de chemin.

Quitte à tout sacrifierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant