Chapitre 73

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Après la torture que sont les escaliers pour moi, nous arrivons enfin à la chambre 207. Je m'effondre sur le bord du lit, reprenant mon souffle, guettant Léo.

Il finit par entrer, retenu par le col par Isham. Dès qu'il parvient à se libérer, il se jette sur moi. Ça ne dure pas longtemps, puisque cette Nassira l'attrape par le bras et le tire hors de la chambre vers la 206, en face. J'essaie de l'en empêcher, mais Isham s'interpose :

— Il faut qu'on parle. Tous les deux.

Je n'ai plus la moindre envie de lui parler, moi. Ses méthodes ne me plaisent pas. Léo doit être terrifié... Cette idée me permet de me ressaisir : autant en finir rapidement, pour pouvoir le rejoindre. Et puis, ce ne sont pas les questions qui manquent.

— D'accord. Tu as des nouvelles de Thomas ? Tu sais pourquoi on a fouillé mon appart ? Et c'est qui, cette fille ?

J'essaie de garder mon calme et un débit raisonnable. Isham soupire. À croire qu'il ne sait faire que ça quand je lui adresse la parole.

— Ne t'excite pas, mais... Pour Thomas, j'ai peut-être une piste.

Il m'arrête d'un geste.

— MAIS, je ne peux pas t'en dire plus pour l'instant. Je ne changerai pas d'avis, donc inutile de te fatiguer. Le problème, c'est qu'à force de creuser et de poser des questions, j'ai attiré l'attention sur moi. Et sur toi, j'imagine, puisque je suis venu l'autre jour. C'est sans doute ma faute, ce qu'il s'est passé. Mais pas totalement non plus. Ce gosse, tu sais d'où il vient ?

Ne sachant si je dois me réjouir pour Thomas ou m'inquiéter de la tournure que prennent les événements, je garde le silence. C'est assez honteux d'avouer que je garde Léo près de moi sans rien savoir à son sujet. Que j'aurais pu le lui demander directement puisqu'il semble me faire confiance, maintenant, mais que je n'ai jamais osé. Que je préfère vivre dans le déni, préservant la stabilité de mon petit monde sans chercher à tout prix à savoir. Que je me contente d'espérer le retour de Thomas, qu'il m'explique, puis que tout redevienne comme avant. Donc, non, je ne sais pas d'où vient Léo. Ni même son nom de famille, ou son âge exact. Alors je secoue la tête. Pour une fois, Isham ne soupire pas.

— Je m'en doutais... Je n'en sais pas plus que toi, mais une chose est sûre, il a un lien avec Thomas. Il a essayé de protéger le gamin en te le confiant, mais quelqu'un est remonté jusqu'à vous. Même si je ne sais pas à quel point c'est de ma faute, je suis désolé. Je n'aurais pas dû débarquer comme ça l'autre jour. J'ai pété les plombs. Tu peux pas savoir à quel point Thomas est important pour moi. Ça me rend dingue de ne rien pouvoir faire pour lui, d'être autant dans l'ignorance de ses problèmes, d'être aussi impuissant.

C'est la première fois qu'il me parle à cœur ouvert comme ça. Thomas doit vraiment lui manquer. Presque autant qu'à moi. Peut-être plus, même si ça me paraît inconcevable. Et puis, d'un coup, peut-être encouragée par le fait qu'il semble moins irrité par ma présence que d'habitude, je lâche la question qui me brûle les lèvres depuis notre première rencontre :

— Pourquoi tu me détestes ?

Il semble un peu surpris, mais il ne démentit pas pour autant. Il me regarde sérieusement, puis, sans sourciller :

— J'étais jaloux.

— De moi ?

— De qui d'autre ? Thomas n'était jamais plus souriant que quand il te voyait. Mais il n'y avait pas que de la jalousie. Je ne t'aimais pas. Ça me mettait hors de moi, de voir qu'il se faisait mener en bateau par une fille qui se fichait de ses sentiments ! C'est moi qui lui remontais le moral, pendant que tu faisais ta vie sans te soucier de lui !

J'ai du mal à comprendre. Ou plutôt, je ne veux pas. Mon début de prise de conscience échappe totalement à Isham, qui continue sur sa lancée :

— Le pire, c'est qu'il faisait semblant d'aller bien. Je me faisais avoir au début, mais j'ai appris à les différencier, ses sourires ! Et ses sourires blessés, j'ai appris à les détester ! Franchement, les gens comme toi, je les détes...

— IL LE SAVAIT ! Il savait. On s'était mis d'accord...

J'enfouis ma tête dans mes mains. Je ne savais pas... Je ne savais pas qu'il en souffrait autant. Je pensais pourtant que le problème était réglé. Qu'il s'était fait à l'idée. Je pensais qu'on était redevenus comme au début, j'étais persuadée qu'il était passé à autre chose...

— Comment ça ?

Le ton d'Isham s'est radouci. Je relève la tête.

— Il me les avait avoués, ses sentiments, à la fin du lycée. Mais je pouvais pas ! Je pouvais pas tomber amoureuse en sachant qu'il risquait de mourir à tout moment ! J'aurais pu, mais je voulais pas ! Ça aurait été trop douloureux !

Je suis sur le point de craquer. J'en ai marre. J'en peux plus...

— Pardon.

Je cherche son regard. Il ne fuit pas. Il semble... Pas désolé, mais un peu embêté.

— Thomas ne me l'a jamais dit. Je pensais que tu te foutais de lui, ça me rendait malade.

Ça fait un moment que j'y pense... Je me trompe peut-être, mais je pose la deuxième question qui me brûle les lèvres depuis un moment :

— Tu serais pas... amoureux de Thomas, par hasard ?

Quitte à tout sacrifierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant