Chapitre 95

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Le lendemain, j'émerge dans un lit que je ne connais pas. Je me redresse, en panique, pour réaliser que je suis allongée dans le lit voisin de celui de Thomas. Il dort toujours, Léo blotti contre lui, malgré la chaleur et la lumière aveuglante qui pénètre dans la pièce. Mal réveillée, je mets un moment à repérer l'homme assis juste à côté du lit de Thomas. Les mains croisées sur ses genoux, il le regarde avec une drôle d'expression. Quand il remarque que je suis réveillée, il se redresse et revêt un masque d'impassibilité. Il porte un uniforme, plus « décoré » que celui de Thomas. Le fameux colonel ? Je suis consciente que je dois dire quelque chose, mais les mots restent bloqués dans ma gorge. Heureusement, Isham et Nassira débarquent à ce moment-là, les mains chargées de tasses de café. L'odeur et l'agitation réveillent Thomas, qui cligne plusieurs fois des yeux, perdu. Il se fige quand il se rend compte de la présence du militaire. Il se ressaisit vite, et se redresse en esquissant une grimace de douleur. Contre toute attente, le colonel se lève pour l'aider à s'installer confortablement. Puis sa voix, grave et posée, s'élève dans la pièce :

— Ce n'est pas la peine de forcer autant, tu ferais mieux de te reposer.

Il s'arrête pour observer plus attentivement le corps meurtri de Thomas.

— Je suis désolé.

Il a l'air sincère. Et attristé. Toute ma colère de la veille envers lui me semble injustifiée, maintenant. Il se tourne ensuite vers Isham, mais cette fois il ne dit rien. Il se contente de soupirer.

— Vous êtes deux imbéciles. Vous vous doutez bien que vous n'allez pas vous en sortir comme ça...

Thomas et Isham baissent la tête. Léo, qui s'est réveillé entre-temps, se colle à Thomas, effrayé. Le militaire paraît surpris, mais il comprend rapidement. Il lance un regard réprobateur à Thomas qui se raidit, mal à l'aise, ce qui ne fait qu'augmenter le stress de Léo. Le colonel soupire à nouveau, et sa voix se fait plus douce :

— Vous devrez nous éclairer sur un certain nombre de points. Vos comportements auraient pu causer beaucoup de tort à notre image. Heureusement, vous avez eu la présence d'esprit de ne pas recourir aux ressources que vous apporte votre engagement militaire. De plus, vous avez pris une base ennemie et sauvé un enfant. Sans compter que l'homme abattu hier soir était un traître que nous recherchions activement. Vous n'échapperez pas au conseil de discipline, mais tout ceci devrait alléger votre sanction.

Il se tourne à nouveau vers Isham et Nassira :

— Nassira... Votre blessure vous a rendue inapte au combat. Nous vous avons demandé de quitter l'armée pour votre propre sécurité, pas pour vous retrouver à vous battre en Amazonie.

Nassira, loin de baisser la tête, le fixe sans un mot, furieuse. Mais leur supérieur ne se laisse pas perturber et s'adresse cette fois à Isham.

— Isham... Votre comportement a été exemplaire jusqu'à présent, comme celui de Thomas. Vos actes me surprennent d'autant plus... Mais je dois vous remercier d'avoir récupéré Thomas. En gage de gratitude, j'effacerai toute trace de l'implication de votre cousine dans cette affaire. C'est tout ce que je peux faire, le reste ne dépend pas que de moi.

Les mots sortent tout seuls, avant que je m'en rende compte :

— Pourquoi vous n'êtes pas venu chercher Thomas vous-même ?

Le colonel me fixe et cligne des yeux, comme s'il se rendait soudainement compte de mon existence. Mais il reprend contenance bien vite :

— Tout simplement car nous ne le pouvions pas, mademoiselle. Thomas est parti de son plein gré, sans prévenir quiconque, sans ordre de mission officiel. Si les circonstances avaient été différentes, j'aurais tout fait pour le ramener.

Je ne suis pas vraiment convaincue, mais son aplomb me laisse sans voix. C'est le moment que choisit Thomas pour me dévisager avec insistance, comme s'il venait de réaliser quelque chose.

— Au fait, Linda... Tu peux me dire ce que tu fabriques ici ?

Si je n'étais pas déjà assise sur le lit, j'en serais tombée à la renverse.

— Je...

Je n'en ai aucune idée, en fait. Mais je ne peux pas vraiment lui répondre ça. Ni que je suis là parce qu'il me manquait atrocement. C'est trop embarrassant. Alors qu'il est de nouveau là, sous mes yeux, je suis dans l'incapacité de lui faire comprendre ce que je ressens. Je ne sais même pas ce que je ressens, en fait. Mon cerveau, mon cœur et mon âme sont sens dessus dessous.

Heureusement, Isham vient à mon secours :

— À cause de tes conneries, un type, sûrement celui de tout à l'heure, a remonté la piste de Léo jusqu'à chez elle. Il a fracassé son appart. Même s'il n'a pas trouvé ce qu'il cherchait, Léo et Linda pouvaient pas rester là-bas. Je voulais les mettre en sécurité ailleurs, mais ils ne voulaient pas rester sans rien faire, alors je les ai laissés nous accompagner.

Je vois Thomas blêmir un peu plus à chacun des mots prononcés par son ami. Il me regarde, désemparé, avant de baisser les yeux et d'enfouir son visage dans ses mains. Un « Désolé » étouffé s'en échappe. Même s'il ne me voit pas, je secoue la tête. Honnêtement, j'avais presque oublié cette histoire. Avec tout ce qu'il s'est passé depuis, elle me semble tellement lointaine, tellement superficielle, que j'aurais presque envie d'en rire, maintenant. Quand je repense à Léo caché dans la machine à laver, j'esquisse un sourire, qui disparaît instantanément quand je réalise ce à quoi il a échappé, puisque c'était bien lui, qui était visé.

En parlant de Léo, il se redresse doucement, et entoure la tête de Thomas de ses petits bras. Ceux de Thomas, plus grands, plus forts, plus amochés, se referment une fois encore autour du corps frêle de Léo.

Puis, je suis frappée par un éclair de lucidité. Ce que cherchait ce type, en fin de compte, ce ne serait pas...

— D'ailleurs, en parlant de ça... Ce type, là... C'était pas ça qu'il cherchait ?

Tout en parlant, je sors la clé USB de ma poche.

Quitte à tout sacrifierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant