Prologue

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    L'aube se levait paresseusement  sur Daly City. C'était un matin d'hiver, un de ceux que j'aurais pu apprécier si maman avait été là. Les étoiles brillaient encore de cet éclat bienveillant qui donne aux enfants le courage de rêver. Et pourtant, je n'arrivais pas à dormir. 

Je pensais au fées des neiges dont papa m'avait parlé plus tôt dans la journée; je me demandais si c'étaient elles qui dessinaient les flocons virevoltant au dehors et le givre sur ma fenêtre. J'étais sûr qu'en restant éveillé assez longtemps, j'en apercevrais une. Je m'accoudais à la fenêtre et posais mon menton sur mes mains. J'ai attendu patiemment les yeux grands ouverts, guettant un signe, n'importe lequel, qui me prouverait qu'elles existaient et qu'il avait raison. Mais les fées étaient comme maman : un mirage dans le ciel qui vous aveugle un instant et disparaît sans laisser de trace. Alors elles ne sont jamais venues.

     Au début, je m'étais levé chaque matin et j'avais couru jusqu'à la chambre de mes parents dans l'espoir de trouver ma mère encore endormie, la bouche entrouverte, sa montre encore à son poignet. Chaque fois que j'avais demandé à mon père où elle était partie et quand elle reviendrait, il ne m'avait pas répondu. Il avait même finit par s'enfermer dans sa chambre presque toute la journée. J'écoutais attentivement mais aucun bruit ne me parvenait de leur chambre : il se passait quelque chose, mais on ne voulait pas me dire quoi. Parfois je l'entendais répondre au téléphone ou faire les cent pas. Mais il ne parlait plus et surtout, il ne me regardait plus. C'était comme si j'étais invisible... Alors j'attendais sagement. Je passais mes journées à regarder au dehors en me demandant où elle pouvait bien être, ce que nous aurions pu faire si elle avait été là. Nous aurions sûrement fait un gros bonhomme de neige ou une bataille de boules avec mon père. Peut-être même qu'on aurait sorti la luge et qu'on serait allez tous les trois dans le parc, on aurait acheter des marrons chauds qui auraient brûler le bout de mes doigts et de ma langue. Mais les vacances d'hiver se terminaient bientôt et elle ne revenait toujours pas.

    Le dernier jour des vacances, mon père s'est levé tôt. Il a lancé sur mon lit un pantalon et une chemise et m'a ordonné de les mettre sans m'accorder le moindre regard. Puis nous sommes allés à l'église, je me demandais bien pourquoi. Tout le monde était habillé en noir et ne faisait que de pleurer, c'était vraiment bizarre. Les gens venaient parler à mon père,il était blanc comme la neige qui tapissait les toits des maisons. Tout le monde se serrait dans les bras. Ce flot de visages ne m'était pas inconnu: toute la famille semblait s'être réunie. Je tirais sans arrêt sur le vieux costard défraîchie de mon père, trop grand pour ses épaules affaissées: je voulais qu'il me regarde, qu'il me dise pourquoi nous étions ici à atteindre dans le froid. Et plus que tout, je voulais qu'il me dise quand maman allait arriver.

    Mais il ne baissait même pas les yeux. On aurait dit qu'il n'entendait plus, qu'il ne voyait  plus. Au bout d'un moment, alors que tout le monde se dirigeait vers l'intérieur de l'église, il m'a demandé de l'attendre dans la voiture. J'avais envie de savoir pourquoi je n'avais pas le droit de venir : j'en avais marre qu'on me cache toujours tout. J'ai fais semblant d'aller vers la voiture, en attendant que tout le monde soit entré. Les grandes portes en bois sombre étaient restées ouvertes parce qu'il y avait trop de monde, une voix parlait lentement dans un micro. Je suis entré et me suis faufilé parmi les gens. Un chœur s'était mis à chanter. La mélodie était si triste... on aurait dit qu'un des anges dont maman parlait dans ses histoires s'était mit à pleurer.

    Je m'avançais entre les grandes colonnes de marbre, et m'approchais pour mieux voir ce que tout le monde semblait regarder. Mon père était assis au premier rang, entre ma grand-mère et ma tante. Il se cachait le visage dans ses mains. Ses épaules étaient secouées par des sanglots. J'étais tout près maintenant, je pouvais même l'entendre pleurer. Je ne l'avais jamais entendu pleurer et je détestais ça. C'était un son qui me donnait les larmes aux yeux, je ne voulais pas l'entendre.

Livre 1: HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant