Chapitre 14

5 0 0
                                    

Je n'arrivais pas à détacher les chiens qui sautaient dans tous les sens sous  le regard moqueur de Sarah. Après de longues minutes d'acharnement, nous partîmes enfin.

-Et maintenant ? demanda-t-elle, pleine d'entrain. Qu'est-ce qu'on fait ?

Je lui parlais de Jo et de l'enveloppe kraft. Au fur et à mesure que je lui expliquais, je vis son visage se décomposer et son enthousiasme fondre comme neige au soleil :

-Ah je vois... tu dois... fit-elle en affichant un air désabusé.

-Quoi ?m'étonnais-je.

Je ne comprenais pas son changement d'attitude.

-Nan mais t'en fais pas j'ai compris... ça fait rien, mentit-elle.

Elle commença à partir sans se retourner et en la voyant s'éloigner de la sorte, j'eu un coup au cœur. Je la rattrapais :

-Hé ! Attends ! Tu ne veux pas m'accompagner ?

Elle se stoppa net. Elle se retourna et son visage s'illumina :

-C'est vrai ? Tu voudrais que... je vienne avec toi ? souffla-t-elle, ahurie.

Son étonnement fit aussitôt place au scepticisme. Elle plissa ces yeux marrons et scruta mon visage comme pour y déceler une trace de mensonge. Naturellement, elle ne trouva rien. Ses traits s'illuminèrent de nouveau : on aurait dit une gamine à qui on offrait un cadeau pour la première fois.

-Bien sûr, répondis-je avec  sérieux.

Un large sourire fendit son visage et je compris à cet instant ce que cela signifiait pour elle. A travers son émotion, je mesurais pleinement combien elle avait dut être seule. Sur le chemin, nous parlâmes encore. Je me rendis compte qu'elle repoussait mes questions, me ramenait sans arrêt au centre de la discussion. Je la laissais faire car je savais que tôt ou tard elle finirait par me parler sans que je ne l'interroge. Je fus soulagé qu'elle ne me pose pas de question sur mes parents et je ne l'interrogeais pas en retour. A un moment, je faillis faire une gaffe à propos de l'article que j'avais lu dans le bureau de Mr Giles mais me ravisais juste à temps : ce n'étais vraiment pas un sujet à aborder !

Elle avait repris ses distances et sa froideur habituelle, comme si rien ne s'était passé. Mais je n'étais pas dupe. Je voyais bien qu'au fur et à mesure que je lui parlais de moi, une petite lueur d'espoir s'insinuait dans son regard. Pour l'instant elle me testait. Elle voulait surement savoir si j'étais digne de confiance, si elle pouvait envisager de s'ouvrir à moi. Et j'étais plus que jamais déterminé à lui prouver que je n'étais pas comme ces gens qui avaient pu lui faire du mal par le passé.

La pluie avait cessé. Je décidais de déposer les chiens chez leur maître respectif avant de rejoindre Joe. Mr Greykins se prie tout de suite d'affection pour Sarah ce qui ne m'étonna pas :

-Passez prendre le thé quand vous voudrez ma p'tiote !

Le trajet jusqu'au Wilson & Wilson se fit dans le même enthousiasme quasi-euphorique que le reste de la journée. Je ne me lassais pas de discuter avec elle malgré la sensation étrange de faire un monologue. Il y avait quelque chose dans son regard. Ou peut-être était-ce de la voir si attentive, le regard brillant d'intuition qui ne me lassais pas...

Nous avions bien entamé la deuxième partie de l'après-midi quand nous arrivâmes au bar. J'inspirais à fond et m'apprêtais à pousser la porte. Sarah eut un mouvement d'hésitation puis me servit une moue encourageante. J'entrais en premier, elle m'emboîta le pas avec appréhension. Le son familier de la cloche qui annonçait l'arrivée des clients carillonna et je me sentis voyager dans le temps. Le comptoir luisant et les tabourets étaient moins hauts que dans mes souvenirs mais pour le reste, rien n'avait changé : les dizaines de bouteilles empilées sur les murs et l'odeur d'alcool fort mélangée au tabac froid m'emplissaient les narines... J'étais chez moi !


Death Cab for Cutie, Transatlanticism



Livre 1: HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant