Chapitre 1

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 Je me réveillais en sursaut. Le cœur battant à tout rompre, le dos et le front moites de sueur. L'image de son visage encore imprimée sur ma rétine, je cherchais à tâtons mon réveil mais dans ma crise d'angoisse, j'étais tombé de mon lit. Je me relevais avec peine, grimaçant de douleur : la chute avait dut être violente.  Mais j'avais l'habitude. Depuis mes dix-huit ans le mois dernier, ces souvenirs hantaient mes nuits de plus en plus souvent. C'était à en devenir dingue... A chaque fois le même scénario. Les ténèbres m'enveloppaient pendant que je l'appelais, je la suppliais de rester. Puis j'étais condamné à errer dans le noir à sa recherche jusqu'à ce que je me réveille en sursaut.

Je passais et repassais machinalement mes doigts sur la cicatrice à l'arrière de mon crâne, seul témoin encore existant de ce jour où je l'avais perdu à jamais. 

Je me figeais en entendant du bruit au rez-de-chaussée. Pourvu que je n'ai pas réveillé ma tante et mon oncle.

L'année après la mort de ma mère, mon père m'emmenait de plus en plus souvent chez eux, sous prétexte qu'il avait beaucoup de travail et ne pouvait pas s'occuper de moi. Il partait de plus en plus tôt le matin et revenait de plus en plus tard le soir. Nous avons fini par emménager chez eux parce qu'il ne supportait plus de vivre dans la maison sans elle. Chaque mur, chaque détail de notre canapé, du placard de la salle de bains ou s'entassait encore son maquillage et ses affaires de toilettes, en passant par son parapluie encore posé près du porte manteau, semblait lui faire souffrir le martyr. C'est le soir où il s'est trompé de brosse à dents et qu'il a malencontreusement  prit celle de ma mère, que nous avons définitivement quitté notre maison pour ne jamais y revenir. Moi aussi je souffrais. Quand je le regardais, je me rappelais son expression le soir où il avait jeté à la poubelle son pendentif préféré, celui qu'elle portait tous les jours. C'était celle d'un homme brisé. Au moment où je l'avais surpris il m'avait regardé avec horreur : j'avais eu l'impression terrible que s'il avait seulement pu, il m'aurait moi aussi jeté à la poubelle. Parce que tout ce qui lui rappelait ma mère le rendait fou de chagrin. Et j'étais certainement ce qui la ramenait le plus à son souvenir : plus je grandissais, plus je lui ressemblais.

J'ouvrais le petit tiroir de la table de chevet pour en sortir le collier de ma mère et le serrer contre mon cœur. Je n'avais pas le courage de regarder sa photo. C'était tout ce qui me restait d'elle : un bijou et une photo de famille prise lors d'un voyage au canada que j'avais réussi à sauver avant que mon père ne jette presque tout. Sur le bord gauche de la photo, une longue déchirure irrégulière me rappelait la partie manquante et me ramenait des années en arrière...

Deux ans après la mort de mère plus exactement. Un soir, alors que nous habitions chez mon oncle et ma tante depuis déjà quelques mois, mon père s'était levé de table sans avoir touché à son assiette. Il empestait et avait l'air sale avec ses yeux rouges, ses cheveux grisonnants et sa barbe mal rasée. Pour la première fois depuis longtemps, son regard avait croisé le mien et il avait baissé les yeux sur ses godasses troués. Les poings serrés, il s'était tourné vers la porte et avait enfilé son vieux manteau en cuir marron:

-Je vais boire un verre, avait-il marmonné.

Mon cœur s'était mis à battre plus vite sans que je sache trop pourquoi. Mon oncle avait regardé ma tante avec un haussement de sourcil à peine perceptible, avant de recommencer a mangé comme si de rien n'était. Moi, j'étais incapable d'avaler quoi que ce soit. Je m'étais assis dans les escaliers à l'entrée où je regardais la vieille pendule égrener lentement les secondes, les minutes puis les heures, se balançant de gauche à droite comme pour me narguer. J'avais attendu ainsi jusqu'au matin sans dormir, guettant le moindre signe de son retour, du bruit de son pas lourd dans l'entrée à l'ombre de sa silhouette sous le porche. J'étais resté dans ce hall encore toute la journée suivante, en pyjama, sans répondre aux injonctions de ma tante pour avaler quelque chose. Mais quand je me suis couchée ce soir là, j'ai compris que c'était sans espoir. Encore une personne qui m'abandonnait. Je n'ai même pas pleuré: c'était comme si au fond de moi, j'avais toujours su qu'il en serait ainsi. Je me suis glissé dans mon lit et j'ai déchiré sa partie de ma photo. 

Livre 1: HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant