Chapitre 22

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Je sonnais à la porte de la maison des Carter. J'entendis une voix qui avait le don de faire battre mon cœur plus vite :

-Tante Eve c'est pour moi ! cria Louis.

Des pas se rapprochèrent et je me recoiffais machinalement, le cœur battant. La porte s'ouvrit sur le visage qui hantait mes pensées alors qu'il ne le devrait pas :

-Salut.

-Salut, soufflais-je.

Comme à chaque fois, la chaleur de sa voix et de sa beauté solaire me réchauffait. Les coins de sa bouche frémirent pour se transformer en un magnifique sourire.

Retrouver l'intérieur de la maison me remémora de bons souvenirs que me paraissaient déjà remonté à des temps lointain. Eve me salua avec son enthousiasme coutumier : rien ne semblait pouvoir entamer la joie de vivre de cette femme admirable. J'avoue que je la jalousais un peu.

Pour ce qui est de la chambre de Louis, rien n'avait changé et j'en fus heureuse bizarrement. Je me sentais chez moi. La vue du lit fit remonter des souvenirs qui faisaient voler des papillons dans mon ventre et je n'osais pas croisais le regard que Louis posais sur moi à ce moment-là.

-Alors ? On s'y met à cette disserte ? le sermonnais-je.

Il me tira la langue comme un gamin de cinq ans. Je ris. Un son naturel et juste qui avait pris une place importante dans ma vie depuis que je le connaissais et qui ne manquait pas de me rappeler combien j'avais changé. Grace à lui...

Il chercha désespérément des copies doubles vierges mais elles avaient toutes des gribouillages de notes ou de chanson qu'il inventait à ses heures perdues. Heureusement, j'avais tout prévu. Nous travaillâmes à fond pendant plus d'une heure mais il ne se passait pas une minute sans que je m'empêche de le regarder écrire avec application : j'étais fasciné. Il était encore plus beau quand il était concentré. Je me surpris plusieurs fois à rêvasser mais Shakespeare, Molière ou Corneille était là pour me ramener à la réalité à coup de phrases cruellement tragiques. 

-Alors ici, tu es d'accord que Racine met en scène une histoire particulièrement tragique du fait que c'est un .... amour impossible... puisque...

je ne pouvais pas le regarder, je ne pouvais pas croiser son regard. Pourquoi CE sujet parmi des milliers d'autres? C'en était ironique. On aurait dit que , comme à son habitude, le hasard se foutait de ma gueule et le destin me riait au nez. 

-...puisque Phèdre est amoureuse du fils de son mari, finit-il sans me regarder. 

-C'est ça oui.

Et la douleur me déchirait le cœur à chaque regard qu'il me lançait, à chacun des sourires qu'il m'adressait.

-Qu'est-ce qu'il y a ? me dit-il soudain en laissant tomber son stylo, sourcils froncés.

Prise au dépourvue, je bredouillais :

-Euh... bah... rien...

Il traversa le lit et s'approcha de moi.

-Je sais très bien qu'il y a quelque chose, insista-t-il en cherchant mon regard.

-Je ne vois pas pourquoi... mentis-je, mal à l'aise.

-Tes yeux, me coupa-t-il.

Je le regardais, abasourdie.

-Comment ça, mes yeux ?

Il sourit avec des airs de triomphe arrogant.

-Je vois ce qu'il y a en toi, ce que tu ressens vraiment. Et là je vois bien que depuis qu'on s'est mis à travailler, tu es triste...quelque chose te troubles mais je sais pas quoi. 

Livre 1: HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant