Livre 1: Hiver

Chapitre 17

Tante Eve apparue sur le seuil. Son éternel chignon était parsemé de mèches folles : elle avait encore dut faire l'impossible pour que tout soit parfait avant notre arrivée. Son regard pétillant d'excitation et de curiosité se posa sur Sarah. A mon grand étonnement, c'est elle qui brisa le silence :

-Enchantée, fit-elle timidement en tendant le main à ma tante.

Celle-ci parut ravie et lui serra la main avec vigueur avant de lui faire la bise en riant de bonheur. Le courant semblait passer : je me détendais. Je regardais Sarah faire et m'étonnais de la facilité avec laquelle elle amadouait ma Tante qui semblait avoir complètement oublié ma présence. Lorsqu'elle nous pria d'entrer, Sarah me lança un regard provocateur et un sourire complice. Je lui rendis avec curiosité : ce changement d'attitude me surprenait. Par réflexe, lorsqu'elle passa devant moi dans le hall, je positionnais ma main derrière son dos sans la toucher. Ma tante surprit mon geste: elle jubilait. Je la retirais aussitôt.

Une douce odeur qui me rappelait mon enfance nous parvint lentement aux narines : mon oncle avait préparé son fameux gratin de pâtes avec rôti en sauce. Je salivais déjà. C'est LE plat : chaque famille à un plat qui fait des merveilles réservé aux grandes occasions. Je me sentais redevenir un gosse pas plus haut que trois pommes et me voyais courir dans la cuisine, guidé par l'odeur alléchante.

Je fus sorti de ma rêverie par Sarah :

-Mmmmm...

Je lui jetais un coup d'œil amusé : personne n'avait jamais résisté au charme de ce plat.

La rencontre entre mon Oncle Larry et Sarah se passa avec la même facilité que ma tante : il se prit tout de suite d'affection pour elle. J'en restais béat: en réalité, elle était à l'opposé de l'image d'associable sauvageonne froide et distante qu'elle se fabriquait. Je découvrais une Sarah chaleureuse, douce et d'une exquise politesse. Diplomate en plus !

Le repas se déroula dans une euphorie générale. Vers la fin de la soirée vint le Grand Déballage tant redouté. Définition du Grand Déballage : enchaînement d'anecdotes gênantes sur toute ton enfance déballé par tes proches qui se font un plaisir de t'humilier publiquement à coup de « Ah la honte ! », histoire de se marrer un bon coup avec les invités. En gros tu assistes à l'enterrement de ta vie sociale en direct et après ça, ta plus qu'à reboucher la tombe ni vu ni connu j't'embrouille.

J'appréhendais sa réaction. Cependant, je m'aperçus vite que j'avais eu tort de m'en faire : Sarah riait mais ce n'est pas de la moquerie que je trouvais dans ses yeux, c'était de la tendresse. Je me traitais d'imbécile et finit par rire avec eux. Ma tante nous regardait tour à tour, mon Oncle restait obnubilé par son invitée. Quant à moi, je passais la plus belle soirée de toute ma vie.

La fatigue finit par se faire sentir dans l'assemblé. Mon Oncle nous souhaita une bonne nuit à tous et se dirigea en titubant légèrement jusqu'à sa chambre d'où s'éleva bientôt un ronflement sonore. Je décidais d'aller prendre une douche. En voyant ma tante Eve débarrassée la table, Sarah se leva aussitôt de sa chaise comme montée sur ressort :

-Laissez, je m'en occupe, fit-elle. Vous l'avez bien méritée...

Dès qu'elle eut le dos tourné et les bras chargés d'assiettes, ma tante me lança un clin d'œil et tendit le pouce. Je lus sur ses lèvres un « Super ! Elle est géniale !».

Je souris avec une étrange sensation de mélancolie. Un « je sais » muet m'échappa et je montais les escaliers.

Une fois seul sous l'eau qui s'écoulait tranquillement, je saisis pleinement l'ampleur des choses : je venais de passer mon Samedi avec Sarah et elle était chez moi en ce moment même. Cette seule pensée fit battre mon cœur plus fort, plus vite. Un truc de dingue ! La solitude me permettait de reprendre mes esprits et je redescendais petit à petit de mon nuage. Je repensais à tous ce qui c'était passer : ma rencontre avec elle sous la pluie, au restaurant, le moment où j'avais senti son corps serré contre le mien, Mrs Gibbson, Jo... Mon cœur se serra : cet épisode aussi était réel.