Chapitre 15

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Le bar était plongé dans la pénombre et je sentais une appréhension mêlée d'excitation monter en moi. Au début je ne vis rien mais lorsque mes yeux s'habituèrent à l'obscurité, je distinguais la silhouette d'un homme qui nous tournait le dos. D'après ses mouvements répétitifs, je devinais qu'il essuyait un verre. Soudain, l'homme stoppa son geste et posa la coupe dans un bruit sonore sans se retourner. Je n'avais pu m'empêcher de sursauter et me rapprochais instinctivement de Louis qui, de son côté, ne manifesta aucun signe de surprise. 

-Le bar n'est pas ouvert, déclara l'homme d'une voix grave et puissante.

Il y avait dans cette phrase un message qui signifiait clairement que nous n'étions pas les bienvenus. Toute personne saine d'esprit aurait déjà pris ses jambes à son cou. Ma présence me sembla soudain incongrue et sa raison encore plus dérisoire. Mais la vision de Louis immobile, calme et rassurant me força à rester malgré tout. Je me tassais sur moi-même. Derrière cette carrure impressionnante, quelque chose me clouait sur place et me mettait mal à l'aise : il était si imposant, si... inquiétant !

L'homme esquissa un geste lent comme pour s'essuyer sur son tablier puis se retourna d'un coup, une expression effrayante sur le visage. Ses traits changèrent à l'instant où il vit Louis . Avant qu'il ne la range précipitamment dans son dos, j'avais aperçu une lame qui avait refléter la lumière des néons. Je préférais me persuader que celle-ci n'était que le fruit de mon imagination.

-Louis ! Mon p'tit gars... ben ça alors !

Il y avait de l'émotion dans sa voix. Louis m'avait décrit leur relation étroite : Jo était pour lui comme un parrain. Il fit le tour pour passer de notre côté où ils se donnèrent l'accolade. Je vis les pieds de Louis décoller de terre sous la puissance de son étreinte. A présent, il n'avait plus rien de l'homme effrayant que je venais de voir : il était bourru et jovial, parlait fort et empestait le tabac froid. Cependant, il demeurait au fond de ses yeux la même peur que j'avais lu dans son regard auparavant et si j'essayais de chasser le souvenir de son expression, il revenait au galop.

-Ce que je peux être content de te voir ! Alors gamin, raconte-moi un peu : pourquoi diable te fais-tu aussi rare dans les parages? s'exclama-t-il avec une pointe d'amertume dans la voix.

Ils se mirent à discuter avec entrain. Je me sentais de trop. Une boule se forma dans mon estomac : encore une fois, je n'étais pas à ma place... Au moment où je m'apprêtais à m'éclipser discrètement:

-Tu as ramené quelqu'un à ce que je vois, avait-il lancé en scrutant la pénombre avec suspicion.

-Ah oui ! Je n'ai pas fait les présentations... se rappela-t-il.

Il se tourna vers moi et m'adressa un sourire complice. Je ne réussis qu'à lui servir une moue résignée. Je n'osais pas bouger, fixée au plancher par les petits yeux perçant de Jo.

-Jo, je te présente Sarah... Sarah je te présente Jo, avait-il déclaré d'un air faussement solennel qui accentua mon malaise.

Louis posa sur moi un regard plein de tendresse que j'eu la sensation vague de ne pas mériter. Je sentis mon visage s'enflammer : il ne me plaisait guère d'être au centre de l'attention. Depuis le début, j'avais pris soin de rester tapis dans l'ombre avec l'espoir de passer inaperçue. Louis me fit un petit signe de tête encourageant et je me décidais - malgré mes réticences – à m'approcher d'eux. Au moment où j'entrais dans la lumière, les yeux de Jo s'agrandirent jusqu'à sortir de leur orbites.

-Doux Jésus Sainte Marie Joseph ! souffla-t-il d'une traite.

Je baissais les yeux, concentrée sur le bout de mes chaussures.

Livre 1: HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant