Chapitre 4

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C'est au bruit de pas dans l'escalier que je me réveillais. Quand je compris qu'il s'agissait de ma tante Eve, je m'empressais d'enfouir ma tête sous les draps. Je détestais ce moment : elle venait m'allumer la lumière en pleine poire, espérant que je me lève. Alors j'avais trouvé cette tactique plutôt efficace. Du moins, quand ma tante ne m'enlevait pas la couette... Evidemment, ça ne loupait pas :

- Louis ! Sors du lit ou tu vas être en retard !

Je répondais par un grognement avant de m'emmitoufler encore plus. Il m'était insupportable de quitter la chaleur de mon cocon. On y était si bien... Cette fois encore, mes anticipations se révélèrent juste. Ma tante tira soudainement la couette : le froid pénétra dans mon t-shirt et la lumière m'aveugla. Je poussais un gémissement de protestation en me cachant le visage avec mes mains.

-Mais ! Tante Eve ! beuglais-je en cherchant ma couverture à tâtons.

-Oh non ! Il n'en est pas question ! Je t'avais bien dit de ne pas te coucher tard hier soir... me lança-t-elle sur un ton de reproche tout en tenant ma couette hors d'atteinte.

Elle désigna la porte, un sourire triomphant aux lèvres. Je soupirais, vaincu et me levais en baillant, le regard noir. Je sortais en pestant contre mon lycée et ses horaires trop matinaux à mon goût. Arrivé dans la cuisine, j'engloutissais un bol de céréales et j'avalais du jus d'orange directement à la brique. J'inspectais ma tête dans le dos de ma petite cuillère : « Mouais... Pas si mal. » pensais-je en me remémorant que j'avais vu bien pire.

Mais aujourd'hui était une journée spéciale. En effet, c'était le jour de la FAMEUSE photo de classe. Tout le monde en parlait depuis une semaine : impossible d'oublier, même pour quelqu'un comme moi. Je m'y résignais. Si pour certains c'était un moyen de laisser une belle trace de leur passage au lycée, pour moi, ce n'était rien d'autre qu'une épreuve. Chaque année je redoutais ce moment-là. Depuis tout petit j'avais été traumatisé : à l'époque, mes camarades se moquaient de moi quand les photos commandées arrivaient: que ce soit pour mon sourire crispé, mes cheveux en bataille ou ma braguette ouverte, j'y avais eu droit tous les ans, sans exception. Et pourtant il restait une chose dont personne ne s'était jamais moqué : mes yeux. Ils étaient uniques et faisaient toute ma fierté. Ils avaient une palette de couleur extraordinaire qui s'adaptait selon mes humeurs : en une fraction de seconde, ils pouvaient passer d'une couleur à une autre. Vert-gris pour la plupart du temps, vert-bleu pour la bonne humeur, vert-marron pour la mauvaise humeur. Je me souvenais exactement des rares moments de rage que j'avais connus: j'étais réputé pour garder mon calme en toute circonstance. Un grand point fort chez moi, je ne perdais que très rarement le contrôle de mes émotions.

J'attrapais mon sac et vérifiais l'heure en sortant : plus que 5 minutes. Je jurais avant de me lancer dans une course contre la montre.

Je serpentais entre les gens, tous plus pressés les uns que les autres. Je surveillais sans arrêt l'heure sur mon portable. Tous mes sens étaient en alerte : la rue, l'heure, une personne à éviter, l'heure, un poteau, l'heure...une voiture.

La panique me saisit tandis que je jetais un coup d'œil à l'heure : 8h 10. Pour la troisième fois cette semaine, j'allais être en retard. Je louperais le début du cours d'histoire mais peut-être pas la photo de classe. Nous devions nous y rendre en compagnie de notre professeur principal et professeur d'histoire Mr Giles. Je courais à en perdre haleine jusqu'au carrefour où je bifurquerais en direction du lycée. Pour une fois, la rue était déserte : tout le monde était en cours à cette heure-ci. Mon estomac se retourna à la vue des plaques fixées à l'entrée de la porte principale qui indiquait « Gateway High School / Kipp San Francisco Bay Academy ». Les murs de briques beiges juraient avec les fenêtres bleu primaire.

Livre 1: HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant