Chapitre 7 : l'histoire du garde

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Limbert et ses hommes, accompagnés par Ylaine, quittèrent Mestre à l'aube, dans l'espoir de rentrer le plus vite possible à Sainte-Odile. Malheureusement pour eux, le voyage de retour ne se déroula pas sous le signe de la fortune.

Le premier jour, ils marchèrent jusqu'à ce que la nuit fût tombée sans trouver de lieu abrité pour établir leur campement, et durent se résoudre à dormir à la belle étoile, raison pour laquelle ils furent parmi les premiers avertis lorsque les nuages recouvrirent la lune et qu'il commença à pleuvoir. Les membres de l'équipe se blottirent contre le tronc des arbres, afin que les feuillages denses les protégeassent, ce qui fonctionna en partie. Néanmoins le sol percé de racines était si inconfortable que personne ne put se rendormir ; ils repartirent avant l'aurore en n'échangeant presqu'aucune parole. Le soleil ne reparut pas de toute la journée, pour le plus grand bonheur de leurs idées noires ; elles proliférèrent d'autant mieux dans leurs esprits que sans la lumière diurne, il devenait quasiment impossible de savoir où mettre le pied sans tomber. Raoulin commis l'imprudence de marcher un peu hâtivement sur une souche recouverte de mousse ; il glissa si rapidement en arrière qu'Ylaine n'eut pas le temps de l'éviter, et ils s'écroulèrent tous deux dans la boue.

Aucun abri ne se présenta pour leur deuxième nuit sous la pluie. Ils s'entassèrent comme ils purent contre un talus au-dessus duquel une énorme roche formait un toit naturel. L'averse gagna encore en puissance, si bien que le lendemain, un quart d'heure de marche suffit à les tremper jusqu'à la moelle, et à tuer la dernière étincelle de gaité qui aurait pu encore résider dans leurs pensées. Cette fois, ce fut au tour de Limbert de tomber à la renverse, alors que le groupe suivait un passage très en pente et très étroit parce que coincé entre deux plaques rocheuses. Le meneur de l'expédition chercha à se rattraper en vain et dégringola dans les jambes de Claude. Celui-ci saisit aussitôt la première prise qu'il put, contracta ses muscles, perdit l'équilibre, et en tentant de se maintenir s'accrocha à de la pierre coupante qui lui fit cadeau d'une longue estafilade allant du poignet au coude.

Au final, seul Eudes parvint à ne pas tomber, mais il eut la mauvaise idée de le faire remarquer ; Raoulin eut tôt fait de rétablir l'équité par un habile mouvement de jambe, et ils se trouvaient tous dans le même état quand le soir tomba de nouveau.

Enfin, la chance leur sourit alors même qu'ils avaient perdu l'espoir de dormir cette nuit aussi : ils dénichèrent une cavité peu profonde, très ouverte et spacieuse. Mais il y eut mieux : Eudes découvrit près d'une autre sortie de la caverne un arbre mort, protégé de l'averse. Ils le taillèrent en pièce en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, et bientôt, un feu brûlait dans leur refuge de fortune.

Ils s'assirent tous ensemble ; Limbert leur permit de boire un peu de vin de sa gourde personnelle ; ils firent griller des provisions dont les odeurs les ragaillardirent.

« J'ai entendu dire que le vin ne réchauffe pas mais refroidit. Nous croyons notre corps qui nous dit qu'il a chaud alors qu'en vérité toute chaleur nous quitte, expliqua Claude après s'être servi une rasade.

- C'est idiot cette histoire argua Eudes immédiatement : tu dis ça comme si notre corps nous trompait. Mais notre corps ne peut pas faire ça, il n'est pas vivant ; c'est nous, notre corps ! Il ne peut pas vouloir nous tromper comme s'il était quelqu'un d'autre alors que c'est nous !

- Non, non, répondit Claude, notre corps pense qu'il a chaud ; il est berné par une illusion, et donc nous le sommes aussi.

- Mais il ne peut pas être berné, il n'est pas vivant ! Martela Eudes exaspéré. Il ne pense pas tout seul ! C'est nous qui pensons !

- Si, le corps peut penser, à sa manière, répliqua Raoulin en rapprochant ses mains du feu. C'est notre corps qui nous dit par exemple quand il faut manger en faisant gargouiller le ventre. Parfois je sais l'heure qu'il est parce que mon ventre gargouille, mais parfois mon ventre se trompe et il gargouille trop tôt, ou il oublie. C'est quand je commence à manger qu'il se rappelle que c'est l'heure du déjeuner.

La légende d'AscalonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant