Chapitre 20 : les adieux

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Faër devait partir, Ylaine aussi. On avait établi dès le lendemain qu'il faudrait prendre contact avec les autres peuples pour les avertir de l'incendie de Mestre, et des monstres qui revenaient attaquer les frontières. Faër retournerait tout naturellement chez son peuple finir la mission pour laquelle il avait été envoyé ; Ylaine paraissait la plus apte à aller avertir le peuple Elfe puisqu'elle le connaissait très bien. Il était inutile d'envoyer quelqu'un d'autre pour avertir les Fées : elles vivaient désormais à l'intérieur des terres elfiques. Géraud resterait pour établir avec le roi un plan de défense, ainsi que pour prendre contact avec de possibles alliés. Les préparatifs prirent quelques jours pendant lesquels le vieux centaure et le jeune homme continuèrent de s'entraîner. Les nains ne possédaient pas de lieu pour s'exercer à l'escrime, ou même pour apprendre à se battre. Les deux combattants trouvèrent rapidement une cour intérieure assez grande et très calme ; les bruits de la rixe effrayèrent d'abord les nains qui passaient, mais le roi défendit qu'on fît des remarques à ses invités.

Ylaine vint les rejoindre la veille de son départ, tandis qu'ils combattaient. Il faisait très froid, une couche de neige recouvrait la cour, ce qui n'empêchait pas Géraud et Faër de transpirer.

« Vous m'avez fait appeler, Géraud ? demanda la naine.

- Oui. L'entraînement se terminera plus tôt aujourd'hui, j'ai à vous parler ; à vous parler à tous les deux, je veux dire. » compléta le comte en se tournant vers Faër. Ils allèrent dans la chambre du diplomate, la plus proche.

« Jusqu'ici, j'ai refusé d'entendre certaines choses, comme le fait que... Qu'Ascalon ne soit pas la Tueuse de Dragon. Mais cette ignorance est un luxe que je ne peux plus me permettre, maintenant que vous allez partir et que je serai toujours auprès du roi. Vous devez me dire ce que vous m'avez caché jusqu'à présent. Comme la raison pour laquelle vous ne m'avez jamais instruit avant ma fuite de l'existence de tous ces peuples, Dame Ylaine. Ne me dites pas que je refusais d'entendre ; c'est un fait, mais je suis sûr que vous m'avez délibérément caché ces informations. »

La naine et le centaure le regardèrent, surpris. Son professeur sembla à la fois soulagé d'entendre tenir ce discours nouveau, et embarrassée par la première question à laquelle elle devait répondre.

- Votre père se méfiait de vous, Géraud, répondit calmement le centaure.

- Dites plutôt qu'il ne m'aimait pas.

- Il était capable de coopérer avec des gens qu'il détestait, commenta Faër. Si rien ne vous a jamais été dit, c'est parce qu'il se méfiait de vous. Votre père avait fait le choix de conserver secrète l'alliance des Marches et des autres peuples. Il n'en parlait donc pas à ceux qu'il estimait pouvoir un jour le trahir.

Géraud s'assit. Il resta sans rien dire un instant, fixant un point invisible. Enfin il reprit :

« Et Ascalon... A-t-elle une histoire ?

- Je ne la connais pas. » Faër se tourna vers la naine.

« Les nains comptent quelques forgerons près de la frontière, parce que les armes se vendent bien aux hommes. Il s'agissait d'une commande d'un de vos aïeux, qui croyait en la force des gemmes. La Légende Dorée a été inventée ensuite, afin d'oublier la vérité ; mais Ascalon est bien plus récente que l'édification du Comté des Marches. » répondit Ylaine. Elle ajouta après un silence :

« Je suis désolée, Géraud.

- Ne le soyez pas. Dites-moi plutôt qui vous êtes, quelle est votre statut ici. Pourquoi avez-vous été élevée chez les elfes ? Chez nous, envoyer un enfant loin de son foyer n'est pas un très bon signe. Cela se produit quand un châtelain est fait prisonnier, et qu'il est libéré contre des jeunes gens de bonnes familles, le temps qu'il paye sa propre rançon, par exemple. Ou quand on dérange. »

La naine eut un petit rire nerveux.

« Je ne peux qu'admettre que vous êtes très perspicace. Je suis l'enfant illégitime de la reine avec un conseiller. Tous deux sont morts aujourd'hui : la reine de maladie, et le conseiller parce qu'il était très âgé. Sur son lit de mort, ma mère a avoué sa faute, et j'ai été envoyée chez les Elfes afin que l'on entende plus parler de moi. Je sais que j'aurais dû vous en parler avant, mais...

-Ne vous excusez pas, coupa le jeune homme. Ce qui est fait est fait. Ne nous appesantissons pas sur le passé. »

Il se releva, remercia Faër et Ylaine, avoua qu'un peu de repos ne lui ferait pas de mal, et qu'il allait se retirer dans ses appartements.

« Vous savez Géraud, dit tout à coup Ylaine, quand je vous ai rencontré à Mestre avec votre père, alors que vous aviez deux ou trois ans, il vous avait déjà choisi un précepteur, et avait déjà décrété que vous ne seriez pas un bon soutien. J'étais venu en qualité de diplomate des elfes. Mais après quelques mois passés en votre compagnie, j'ai demandé à devenir votre professeur. Je l'ai fait parce que je croyais en vous. Votre père ne m'a jamais écoutée, mais il a dû douter de son jugement, sinon il ne vous aurait pas confié une épée qui reste malgré tout le symbole du Comté des Marches. »

Pour la première fois depuis plusieurs jours, Géraud sourit.

« Merci Ylaine. »

Il les salua de nouveau et partit.

La naine partit peu de temps après Faër, sans plus s'attarder. Bien qu'elle fît mine de ne pas s'inquiéter, Géraud put voir qu'elle n'était guère enchantée de le laisser. Avant de s'en aller, elle lui donna le plus de conseils possibles, et, parfois, deux fois le même. Elle siffla aussi quelques médisances à l'encontre de ces vieux croutons de conseillers incapables de discerner ce qui était bon ou non pour leur pays.

« Ne vous en faites pas ; j'ai été à bonne école, je me débrouillerai, tenta de la rassurer Géraud.

-Oh, mais j'espère bien que vous vous débrouillerez ! dit Ylaine en prenant un ton confiant. Ce n'est tout de même pas un valeureux Comte des Marches qui se laissera marcher sur les pieds par quelques nains mal dégrossis. »

Ils arrivèrent à la porte du palais, où un cheval avec un écuyer attendait la naine. Elle soupira, regarda autour d'elle afin de vérifier une dernière fois que rien n'avait été oublié.

« J'espère que mon... Statut un peu particulier ne vous attirera pas trop d'inimitié. dit finalement Ylaine.

- Comme si j'avais besoin de vous pour cela ! »

La réponse de Géraud surprit Ylaine et la fit rire. Elle concéda qu'il n'avait pas tort, et monta en selle.

« Au revoir Géraud ; prenez soin de vous. »

Le jeune homme lui rendit son salut, et ne rentra que lorsqu'Ylaine tourna au coin d'une rue et qu'il ne put plus la voir.

La légende d'AscalonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant