Le roi approuva l'ensemble du projet et fit un discours à l'ensemble de la capitale, qui fut appris, réécrit, recopié, par des marchands, des troubadours, des voyageurs, pour être transmis à toute la province. Il expliqua le danger qui menaçait non plus la frontière, mais l'ensemble du pays, et demandait à tous ses sujets de se montrer très vigilant.
Le lendemain, Géraud partit vers la frontière.
Gratien Tourton l'accompagna, ainsi que trois soldats nains normalement affectés à la garde rapprochée de Haldor III. Le voyage fut beaucoup plus rapide qu'à son arrivée chez les nains : il traversa le pays au galop en s'arrêtant à des postes de relai le soir pour prendre de nouveaux chevaux fringants le lendemain matin. La neige tombait sans discontinuer depuis plusieurs jours, s'ajoutait à celle déjà tombée en début de saison, et aurait recouvert les maisons basses des nains s'ils n'avaient pas pris le temps chaque matin de la déblayer.
Géraud parvint d'abord à des villages où s'étaient réfugiés des survivants, afin de manifester son soutien et celui du Palais. Les nains s'arrêtaient de travailler quand ils voyaient passer à toute allure ces cavaliers, et le jeune homme les observait avec inquiétude faire rentrer leurs enfants dans leurs habitations aux toits de chaume pour les mettre en sécurité. Le premier hameau, quoique fort modeste, n'en abritait pas moins une dizaine de survivants. Lorsque le responsable de la défense se présenta, ils aidaient leurs hôtes dans leurs tâches quotidiennes. Les villageois manifestèrent une grande surprise en voyant le jeune homme approcher et descendre de son cheval.
« Mais vous n'êtes qu'un enfant... murmura une naine
-Oui, il paraît jeune, répondit Gratien de façon à ce que tout le monde pût l'entendre ; mais il vient de chez les Hommes, là où la guerre et les complots ne cessent jamais. Là-bas, chaque matin peut devenir le théâtre d'une invasion sanglante ; il n'y a pas un comté qui ne cherche à en abattre un autre, par tous les mensonges les tromperies, les fourberies possibles. Il vient de là où le plus faible est écrasé par le plus fort, où les Justes n'ont pas de repos ; où Gemmes et ses enseignements sont oubliés depuis des générations, de là où... »
Emporté par son propre discours, Gratien se rendit compte qu'il n'avait plus d'exemples à donner, et dut modifier un peu son propos :
« ...Où, un comté a tout de même réussi à tenir bon au milieu de cette hypocrisie et de cette fausseté, le comté des Marches. Notre roi Haldor III a donc conclut une alliance avec les Marches, et son digne représentant, qui connaît cette grande ennemie du peuple nain qu'est la guerre, nous aidera à en venir à bout. »
Géraud reprit :
« Je suis le fils de Feu le Comte des Marches, qui vous a si longtemps protégé. Je compte bien poursuivre l'œuvre de mon père et tout faire pour préserver les nains de la dévastation. »
Le jeune homme se demanda si ces explications suffiraient aux villageois. Pour lui, son foyer n'était pas plein de complots et de guerres même s'il était vrai qu'il n'avait jamais connu un temps sans tension avec une autre seigneurie ; en plus de cela la façon de s'exprimer du conseiller lui paraissait insupportable. Par ailleurs, il se sentait un peu effronté de se comparer avec son père, un homme qui avait beaucoup fait pour les nains et les autres peuples, tandis que Géraud avait indirectement causé le drame des jours précédents. Pierrick des Marches devait sûrement se retourner dans sa tombe en sachant que son nom était utilisé pour accorder du crédit à son fils.
La naine crut à ses paroles, et se jeta dans ses bras en pleurant. L'hériter des Marches ne sut comment réagir, et après un court instant, l'écarta avec douceur. Il devait s'agir d'une coutume, puisque Gratien Tourton accepta paternellement l'embrassade. Plusieurs autres nains les serrèrent contre eux ou leur donnèrent l'accolade. D'autres, souvent parmi les plus vieux, plus réservés, se contentèrent de lui serrer la main, non sans émotion.
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La légende d'Ascalon
FantasyGéraud est le fils du seigneur des Marches, destiné à lui succéder. Sa vie bascule quand des créatures ravagent l'endroit où il vivait. Sans terres et sans allié, son pouvoir est menacé ; tout ce qui lui garantit sa légitimité est Ascalon, l'épée lé...