Chapitre 13 : le prétendu allié et les véritables ennemis

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Un sursaut d'horreur saisit le fugitif qui dégaina instinctivement son épée. L'inconnu fit de même, et avec une rapidité déconcertante, il frappa du plat de la lame la tête du jeune homme. La force du coup fut telle qu'elle désarçonna Géraud qui alla s'abattre sur la pente à sa gauche. Le fils de Pierrick sentit la douleur lui transpercer le crâne, et il lâcha Ascalon tandis que de l'épaule gauche il heurtait la terre. Le paysage dansa devant ses yeux. Sur le fond des maigres troncs blancs des couleurs pastelles des feuilles, l'étranger paraissait une figure sombre qui s'approchait lentement de lui. Géraud s'appuya sur la colline qui avait en partie retenu sa chute et se releva aussi vite qu'il le put, mais son adversaire était déjà sur lui ; il se retrouva avec la pointe d'une épée sous la gorge.

« Bon sang, calmez-vous !» cria dame Ylaine. Le cheval avait cabré après l'attaque de l'inconnu et elle n'avait pu intervenir tout de suite. Dès qu'elle put, elle sauta de la monture pour s'interposer entre Géraud et le centaure.

« C'est le fils du Comte des Marches ! lança-t-elle au centaure, avant de siffler à Géraud : « il s'agit d'un ami ! »

En effet, la créature ne faisait pas mine de vouloir mener le combat plus en avant. Il rangea son épée en silence tandis que Géraud récupérait la sienne. Que cet étranger s'avère être un allié était momentanément une chance devant des forces si inégales ; néanmoins, Géraud n'appréciait guère la perspective d'avoir une personne qu'il jugeait peu fiable à ses côtés.

« Peut-on savoir qui vous êtes, et ce qui vous vaut ce titre ''d'ami'' ? » demanda Géraud tout de go.

- Je m'appelle Faërich, dit Faër la Concorde des peuples, fils de Faërich Au sabot Fêlé du clan des centaures des plaines. Je suis un diplomate. J'ai assuré le contact entre les centaures et les hommes, et je venais ici pour discuter d'une alliance avec votre père, si cela répond à votre question.

L'allure du centaure gardait quelque chose d'effrayant alors même qu'il n'adoptait pas une posture agressive. Tout d'abord, il était bien plus grand et bien plus robuste que ne pouvait l'être un homme, et le fuyard devait lever les yeux pour le dévisager. À cela s'ajoutait que sa peau présentait une couleur brune, carnation que Géraud n'avait jamais vu sur un être humain ; avec la couleur luisante et noire de sa partie chevaline, cela conférait au centaure un aspect d'autant plus singulier, et une aura qui sembla à Géraud de mauvais augure. La forme de son visage n'arrangeait rien : il était long mais avec une mâchoire carrée et des pommettes saillantes, taillées par les années, et lui donnait un air belliqueux ; une natte serrée retenait en arrière ses cheveux noirs ; il y contrastait quelques mèches grises et blanches. Ses yeux semblaient deux perles polies dont l'incrustation eût fendillé la peau en de multiples petites rides. Il portait une armure de cuir sur les épaules sur laquelle était accrochée une cape émeraude, ce qui laissait voir des muscles impressionnants. À sa ceinture pendait le fourreau dans lequel il venait de ranger son arme. L'épée était trop grande pour un homme, mais semblait pouvoir convenir à une créature de cette taille.

Sa voix était très basse et un peu granuleuse. La suite de la conversation ne donna pas beaucoup d'indices au jeune fuyard sur ce qu'était le pays des centaures, parce que dame Ylaine ne fit que le renseigner sur la situation des hommes. Le regard du jeune noble revenait toujours vers la jonction entre le torse d'homme et le corps de cheval du centaure, sans qu'il parvînt à se persuader que cette alliance n'était pas contre-nature, monstrueuse : et si ce physique double et difforme de Faërich reflétait une âme pleine de duplicité et d'ignominies ? Si la couleur sombre de sa peau était un premier avertissement concernant ses sombres agissements ? En regardant ce prétendu allié, Géraud ne pouvait penser à autre chose qu'à sa trahison prochaine, dans un moment où Dame Ylaine et lui seraient le plus vulnérable ; ce sinistre pressentiment le préoccupaient d'autant plus qu'il ne voyait aucun moyen pour se prévenir du piège dans lequel il lui semblait être en train de tomber.

La légende d'AscalonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant