Chapitre 30 : Ursinien

1 0 0
                                    

Une semaine avait passé. Géraud profitait d'une matinée de libre pour suivre l'enseignement de Sigmar. Il avait un peu appris à le connaître et savait maintenant qu'il avait eu quinze ans il y a quelques mois à peine, et qu'il avait de nombreux frères et cousins. En chemin pour rejoindre le centaure, il rencontra le conseiller Tourton et l'avertit que du fait des négociations avec la guilde des marchands, il ne pourrait plus assurer longtemps son poste de Responsable de la Défense. Gratien ne parut nullement satisfait de cette nouvelle.

« Vous vous enfuyez au bon moment, dirait-on.

- Cela n'a rien d'une fuite. Je compte bien renouveler l'alliance avec les Nains lorsque je serai à la tête des Marches. Répliqua Géraud ; bien qu'il fût désormais habitué à ce genre de remarques, et notamment de la part du conseiller Tourton, sa réponse sonna d'une façon plus cassante qu'il ne l'avait voulu.

- Oh, nous verrons cela. En attendant, il faudra bien que quelqu'un s'en occupe à votre place, et récolte les conséquences de votre politique.

- Ce pourquoi j'ai tout naturellement pensé à vous – puisqu'une victoire éclatante nous attend. »

Le conseiller Tourton souffla de dédain, mais, bien qu'il tentât de le dissimuler, Géraud remarqua que ce trait d'esprit proche de l'humour nain lui avait plu.

Néanmoins, une part de vérité se cachait dans la première partie de la phrase de Géraud. Comme l'avait noté Gratien Tourton, celui qui prendrait la suite de l'héritier des Marches récolterait sa part de critiques, et peut-être de lauriers. Or, le jeune homme avait pu constater de ses propres yeux l'effet que le conseiller pouvait avoir sur la foule – effet que le conseiller Tourton n'ignorait pas non plus.

« J'aimerais bien que quelqu'un me dise pourquoi, sur le nom du Dieu-Dragon – que Gemmes me pardonne- j'irais aider un freluquet insensé et imbu de lui-même dont le seul but semble être de nous entraîner tous avec lui dans sa folie ! » déclara comme il savait si bien le faire, Gratien Tourton sur un ton théâtral.

Géraud n'attendait que cela, et la conversation continua à bâton rompu un long moment encore. Gratien était en train de céder sans en avoir l'air quand une voix interrompit leurs échanges :

« Je vous souhaite le bonjour Monsieur le Comte des Marches ; je vous souhaite le bonjour, Monsieur le conseiller Tourton.

- Bien le bonjour monsieur le Dauphin. » répondit tout de suite Gratien Tourton.

Géraud se retourna. Derrière lui se tenait le fils de quatre ans d'Haldor III, fils qui était destiné à être appelé Haldor IV, mais qu'on ne nommait pour le moment qu'Ursinien.

Né d'un second mariage, l'enfant n'avait aucun lien du sang avec Ylaine. Ses parents l'avaient appelé ainsi afin qu'il eût la force d'un ours, car il était né chétif et faible, tant et si bien que l'on avait cru qu'il ne survivrait pas à son premier hiver. Peut-être que le nom qu'on lui donna lui conféra en effet un peu de ses propriétés puisqu'il survécu, gardant un visage livide et une respiration difficile.

Il passait tout son temps libre à regarder les pages des livres ou à promener son corps chétif le long des corridors du palais. Lorsqu'on engageait la conversation avec lui, il répondait parfois « tiens donc », mais Géraud n'aurait pas su dire si l'enfant comprenait le sens de ses propres paroles.

Gratien Tourton interrogea gentiment le prince sur ses leçons, questions auxquelles ce dernier répondit avec le plus grand sérieux, avant d'annoncer de sa petite voix fatiguée que son maître devait désormais l'attendre pour le cours du matin.

« Je vous souhaite la bonne journée, Monsieur le Comte des Marches. Je vous souhaite la bonne journée, Monsieur le conseiller Tourton. Je vous remercie pour cette agréable conversation. »

Et l'enfant repartit lentement dans l'une des galeries à arcades.

Géraud quitta le conseiller peu de temps après, et arriva enfin à une arrière-cour où Sigmar l'attendait déjà, et faisait quelques mouvements avec son épée.

« Pardon de mon retard ; j'ai croisé le conseiller Tourton sur mon chemin et... Enfin, vous savez comment il est ! s'excusa Géraud en riant.

- Maintenant que vous êtes là, commençons. »

Ils répétèrent des mouvements de l'art martial centaure pendant toute une partie de la matinée, puis ils échangèrent quelques passes d'armes. Géraud avait toujours trouvé que son cousin Emile frappait fort ; mais ce n'était pas tant face à la puissance du centaure. Sigmar dirigea son bras comme s'il voulait frapper sur la droite, et profita du temps de réaction de Géraud pour changer son angle d'attaque au dernier moment. L'héritier des Marches recula précipitamment, et ne sentit pas le coup le heurter. En regardant Sigmar, il vit que cela venait non de son mouvement de recul, mais de ce que son adversaire avait arrêté son geste afin de ne pas le blesser.

Comme il était clair ici qu'il avait perdu, le jeune responsable de la défense naine en profita pour reprendre son souffle.

« Vous êtes pourtant avantagé, commenta le centaure : vous, vous avez un artefact. »

Les quelques séances d'entraînements qui avaient eu lieu avaient appris deux choses à l'exilé. D'abord, que lui, Géraud des Marches, de trois ans l'aîné du centaure, était bien plus posé, plus réfléchi que son protégé : Sigmar parlait de façon plus concise, voire énigmatique, parce qu'il avait beaucoup de mal à formuler sa pensée. Par ailleurs, un rien pouvait influencer sa journée et le mettre dans une humeur exécrable, ce qui arrivait souvent dans un pays où les habitants affectionnaient tout particulièrement de se tourner eux-mêmes et de tourner les autres en dérision. La dernière remarque en date était celle d'un conseiller qui n'avait pas apprécié la fierté de l'ancien voleur, et qui avait fait remarquer d'un ton doucereux que c'était la première fois qu'il voyait un jeune coq avec un corps de cheval. Après cette première constatation, Géraud avait aussi pu observer un deuxième fait en affrontant Sigmar lors de leur entraînement : c'était que ni l'immaturité, ni la fierté du jeune centaure ne l'empêchaient de surpasser de beaucoup son aîné dans la maîtrise de l'épée.

En sueur par l'effort que ces échanges lui demandaient, Géraud enleva son veston en cuir, et défit un peu le col de sa chemise.

« Si cela vous semble être un tel avantage, nous pouvons toujours échanger d'arme » fit remarquer le responsable de la défense.

L'expression qu'afficha le centaure montra immédiatement que cette idée ne lui plaisait pas du tout.

« Je confie ma vie à mon épée ; il n'est pas question que je la prête à qui que ce soit ! Qu'est-ce qui vous prend, à vous, de prêter la vôtre d'épée, reprit le centaure sur un ton de reproche ; un artefact en plus !

- Ce n'est que du métal tranchant avec de la pierre précieuse vous savez...

- C'est un don du Dragon-Dieu Gemmes! Vociféra Sigmar.

- Vu que le monde entier est censé avoir été créé à partir d'une écaille de dragon, le monde entier une sorte de ''don du Dragon-Dieu'', si je ne m'abuse. » repartit calmement Géraud.

« ... Et vu que la légende sur Ascalon la Tueuse de Dragon était aussi fausse que cette histoire de Dieu Gemmes, Ascalon n'était rien du tout. » compléta le jeune homme intérieurement.

Le tour de rhétorique avait laissé Sigmar démuni. Il clôt finalement la discussion en bougonnant :

« Je suis sûr que vous avez tort. »

Géraud se contenta de hausser les sourcils pour sous-entendre qu'un commentaire aussi puéril n'était pas une preuve.

L'entraînement continua dans le silence.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Jun 04, 2023 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

La légende d'AscalonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant