Chapitre 23 : le miracle du corail

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Comme tous les jours, le marché se tenait à l'entrée de la ville, et les commerçants criaient pour attirer leurs clients ; les clients eux-mêmes leur répondaient parfois en criant, parce qu'ils voulaient d'abord se renseigner avant de s'approcher de l'étalage, ou plus simplement saluer une connaissance. Les éclats de voix étaient donc nombreux car au marché, un client qui achetait, un commerçant qui vendait, les habitués, les passants, n'importe qui que l'on rencontrait plusieurs fois et avec qui on discutait un peu pouvait devenir cette connaissance à saluer. La foule se bousculait un peu par moment ; néanmoins, les querelles restaient rares ; une politesse rustique dominait.

Le réfugié se laissait guider par la foule, observant autant les marchandises que les marchands. Des éclats l'attirèrent cependant, et il se mit à examiner des gemmes.

Aucune ne dépassait la taille d'une phalange, et elles excédaient rarement celle d'un ongle ; certaines avaient été serties dans des bagues ou des pendentifs. Néanmoins, chaque pierre avait été méticuleusement taillée et polie. A côté des pierres se trouvaient des sachets, qui à leur forme semblaient remplis de poudre.

« Vous avez l'œil ! s'exclama le nain qui gardait l'étalage, un homme tirant sur la cinquantaine, avec des cheveux blancs foisonnant et un bouc, l'air encore fringuant. Je suis le meilleur joaillier de tout le marché ! Pas un autre marchand ne m'arrive à la cheville. Mais jugez par vous-même, continua le vendeur en tendant une pierre d'une couleur miel translucide.

« Je suppose que tous les vendeurs disent cela. » commenta Géraud en prenant la pierre.

Son interlocuteur, loin de s'offusquer de la remarque, s'esclaffa joyeusement. Le jeune responsable reprit :

« Vous vendez ces pierres à cause de leurs propriétés magiques, n'est-ce pas? Que sont-elles censées faire ?

- Elles feront tout ce que vous voudrez si vous savez les utiliser ! répondit jovialement le nain. Le mellite permet de trouver son chemin quand nous sommes perdus, et possède des pouvoirs de guérison ; l'on garde son calme grâce au corail, et le corail éloigne la tempête des champs, et assure la fertilité des récoltes ; le jais permet la victoire à celui qui la porte ; avec la bonne formule, il s'enflamme si on l'asperge d'eau et s'éteint avec de l'huile ; l'ambre empêche l'ivresse et la folie ; avec l'ambre vous pouvez aussi faire des filtres d'amour.

- Je croyais que c'était l'améthyste qui garantissait de l'ivresse. Remarqua Géraud, qui trouvait la tirade de son interlocuteur un peu confuse.

-Oui, oui, l'améthyste aussi, et l'améthyste peut écarter la grêle et les sauterelles, et elle attire les bêtes sauvages quand on va à la chasse ; mais je n'en ai pas ici. Tenez, tenez, prenez plutôt celle-ci, là, la pierre des nains. Vous avez une triste mine, et le corail rend la bonne humeur quand vous l'avez perdue.

- Attendez, vous n'aviez pas dit plus tôt que le corail permettait de trouver la paix intérieure... ?

- Si, si, c'est la même chose ! » s'exclama le nain en reprenant la pierre de mellite pour fourrer dans la main de son potentiel acheteur une pierre de corail bleue. Il le fit ensuite asseoir derrière le comptoir.

« Attendez un peu et vous verrez, vous allez retrouver le sourire ! »

Il lui apporta une infusion dans une tasse de terre cuite puis s'occupa un instant de nains qui s'étaient approché de l'étalage. Géraud en remarqua d'ailleurs plusieurs autres qui, intrigués par la présence d'un homme, avançaient vers lui ; le cinquantenaire aux cheveux en broussaille les interpelait alors en brandissant ses pierres, et en expliquait les propriétés. Puis le commerçant se retournait vers Géraud pour lui demander s'il n'était pas d'accord, si la couleur de la pierre n'était pas sublime, si la forme n'était pas parfaitement polie ; il en profitait pour servir de nouveau une infusion à son invité, et concluait son affaire avec les clients.

Géraud aurait pu laisser la tasse sur le comptoir et s'en aller plusieurs fois, puisque de toute évidence le marchand se servait de lui pour attirer d'autres clients. Néanmoins, il partirait peut-être dès le lendemain du pays nain, et laisserait derrière lui la ville bruissante pour arpenter les routes. Dans ce cas-là, à quoi lui servait de retourner au palais et d'attendre que le couperet tombe ? Au milieu du marché, il lui semblait redécouvrir la lumière du jour.

« Ah ! s'écria tout à coup le marchand, et Géraud sortit de sa rêverie ; ah ! Vous voyez ? Vous avez vu ? continua-t-il en s'adressant à ses clients nains ; je lui avais dit ! Tout comme je l'avais dit ; vous avez vu comme il avait triste mine tout à l'heure, et maintenant le seigneur des hommes a retrouvé le sourire ! »

Et pour preuve, le marchand prit de la main de Géraud la pierre de corail qui lui avait donné pour la montrer à tout le monde. Les nains n'avaient pas vu la venue Géraud, et n'avait pas constaté que le jeune homme avait changé de figure. Mais les paroles du marchand et son idée leur plaisaient suffisamment pour qu'ils leur accordassent leur attention.

« Vous êtes un sacré filou. » glissa l'héritier des Marches avec amusement.

Dans le même temps, il se releva et posa sur le comptoir la tasse.

« Pas d'achat finalement ? demanda le cinquantenaire en se retournant ; prenez la pierre de corail, elle réagit particulièrement bien avec vous ; je vous le dis, elle vous portera chance. Tenez, je vous fais un prix. Non, non, mieux encore : je vous la sertie gratuitement. Oui, voilà : je vous la sertie sur une broche, elle ira à merveille avec la cape que vous portez. »

Le commerçant finit sa transaction avec ses clients, puis enchâssa la pierre dans une broche en argent, et brandit le bijou devant l'adolescent. Après avoir manifesté des réticences, celui-ci accepta finalement, et la mit sur sa cape. Elle avait été offerte par Haldor III lors des festivités organisées le jours de l'arrivé de Gériaud, et le beau vert émeraude répondait particulièrement bien avec le bleu du corail.

« Aha, vous avez de l'allure comme ça ! » s'exclama le nain. Il semblait rouge de fierté d'avoir vendu une pierre à un homme, et à un homme qui avait l'air très important.

Géraud repartit au palais. Il apprit le lendemain que Haldor III avait modifié en partie les exigences du compte-rendu, qui restaient cependant les plus importantes depuis l'entrée en fonction du jeune homme. Géraud n'était pas renvoyé. Un page vint le voir dans ses appartements après dîner, lui énonça quelles seraient les mesures prises, et lui dit que Haldor III lui demandait, de la part des conseillers, si cela lui était possible, de se montrer un peu plus raisonnable. L'héritier des Marches comprit le message du roi et renvoya le page.

La légende d'AscalonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant