Chapitre 14 : voyage en hiver

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Ce pays qui avait été autrefois une terre sacrée grouillait désormais de créatures infectes, et le groupe croisa plusieurs fois d'autres monstres, que ce fût de jour ou de nuit. Ces combats montrèrent à Géraud qu'il avait eu beaucoup de chance lors de son affrontement seul contre plusieurs lycanthropes : ces créatures savaient se montrer rapides, organisées, mais aussi particulièrement fourbes, feignant un instant d'être blessées pour attaquer ensuite avec une plus grande vivacité, et seul Faër était mesure de tenir tête à trois loups-garous à la fois. Le centaure prouva plusieurs fois sa vaillance et sa force : il combattait plusieurs ennemis et ne paraissait pas souffrir des blessures qu'il recevait, tout en assénant immanquablement un coup mortel à ses adversaires.

Plus étrange, il arrivait régulièrement que les trois compagnons tombassent sur des cadavres de lycanthropes. Géraud supposa d'abord qu'ils s'étaient entretués : les corps présentaient en effet une maigreur maladive propre aux animaux affamés, ainsi que des traces de morsures. Mais le fugitif s'aperçut vite qu'il restait bien trop de chair sur les cadavres et que les congénères de ces créatures ne pouvaient les avoir attaquées dans le but de les manger.

Géraud bénéficiait de séances d'entraînements avec un bretteur expérimenté quand il vivait encore à Mestre. En effet, Ylaine ne pouvait pas entraîner Géraud, ne maîtrisant en rien la pratique l'épée, et médiocrement celle de l'arc. Son seul moyen de défense venait de l'arme dont elle s'était servie durant l'attaque des loups-garous. Elle la montra à son élève, expliquant qu'il s'agissait d'un carquois, que des artisans de chez elle avait construit. La naine l'avait reçu quand elle avait décidé de partir pour le royaume des Hommes, afin de pouvoir se protéger, et n'en n'avait jamais eu besoin jusqu'à présent.

Afin que le jeune homme continuât de s'entraîner, Ylaine émit l'idée que Faër devînt son nouveau maître concernant la pratique de l'épée. L'héritier des Marches pensa d'abord refuser, parce qu'il n'accordait pas sa confiance au centaure. Mais il ne pouvait refuser les conseils d'un épéiste aussi expérimenté que semblait l'être La Concorde des Peuples sans faire preuve d'une certaine bêtise ; par ailleurs cela lui donnait une occasion de se battre contre la créature.

Les jours suivant furent donc marqués par un certain désenchantement : ne donner ne serait-ce qu'un seul coup au centaure se révéla bien plus difficile que ce que Géraud avait imaginé. Ses bottes étaient bien plus puissantes, rapides, étudiées que celles de son apprenti. L'héritier des Marches dut donc se contenter de parer comme il le pouvait les attaques de son nouveau professeur.

Ylaine ne fit plus directement allusion à l'incident du groupe de loups-garous ; mais elle glissait parfois dans la conversation une remarque qui blâmait implicitement son orgueil ou le tournait en ridicule. Cependant, mis à part après l'une de ces piques, où Géraud pouvait voir que la colère qu'elle avait eu cette nuit-là la reprenait, leur relation restait aussi solide qu'elle l'avait toujours été ; Ylaine ne manquait jamais de le conseiller, et de lui apprendre ce qu'il fallait savoir sur les peuples dont il ignorait tant de choses. Durant ces conversations, il comprit petit à petit que son père avait tenu secret un grand nombre de faits : non seulement feu le Comte connaissait l'existence des pays d'au-delà du Dracung, mais il avait établi des pactes commerciaux et militaires importants avec ceux-ci. Il revendait le surplus de ses cultures aux autres nations en échange de denrées absentes de ses terres, ce qui lui permettait de garder son autonomie par rapport au reste du pays des hommes.

Enfin, la politique agressive qu'avait tenu son père pendant quelques années, ne résultait en fait que d'un pacte : les goules et autres immondices, d'abord très peu nombreux, s'étaient multipliées et avait mis à feu et à sang le Pays des Fées, jusqu'à en prendre possession. Lorsque ces bêtes se répandirent dans le Pays de Gemmes et commencèrent à menacer tous les pays, Feu le comte monnaya la force de frappe des Marches, afin d'exécuter des raids pour prévenir des attaques sur des villages ou éviter que le nombre de loups-garous n'augmentât trop. Puis, les attaques cessèrent, sans que la cause pût être éclaircie. Ces bêtes étranges se terrèrent dans les terres conquises en tuant ceux qui s'y rendaient, et plus personne n'entendit parler d'elles. Jusqu'à aujourd'hui, du moins.

La légende d'AscalonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant