Chapitre 15 : où un jeune elfe un peu trapu fait ses preuves

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Tout à côté du fleuve, le groupe trouva un village désert. Il ne restait presque plus rien dans les maisons, uniquement quelques meubles vides, des draps rongés par les mites, et un voile de poussière posé par-dessus. Au milieu de l'après-midi, ils en trouvèrent encore un autre, lui aussi abandonné, et ce n'est qu'en soirée qu'ils atteignirent un lieu habité.

Les habitations naines qu'ils virent ne constituaient qu'un modeste hameau, mais non pas misérable : il était formé par un groupement de maisons en pierre, assez larges, avec un toit plutôt bas, le tout encerclé par de grandes barricades en bois. Deux nains qui taillaient des pieux en haut des barricades faisaient office de gardes. Malgré la distance, Géraud pu apercevoir des failles évidentes dans la conception de leurs cottes de maille qui paraissaient par ailleurs assez abîmées. D'ailleurs, les villageois ne furent guère méfiants devant ces étrangers, et leur offrirent même l'hospitalité ; ou plutôt, ce que Géraud comprit au fil de la conversation, ils la vendirent pour une somme modique. Le Comte se demandait s'ils pourraient dormir dans ce village alors qu'ils n'avaient que peu d'argent, et en tout cas, pas d'argent nain. Mais Ylaine présenta le cristal de roche, ce qui ravit leurs hôtes. Ils ne s'effrayèrent pas de la présence de Géraud : avant d'entrer dans le premier village, Ylaine lui avait remodelé le bout des oreilles à l'aide de morceau de cire, et il ressemblait désormais à un elfe un peu trapu.

Le jeune homme ne fut guère enchanté de rencontrer ces nains : ils les avaient imaginés comme Ylaine, réfléchis, cultivés sur de nombreux sujets, et il les découvrait rustres, assez bêtes. Les hommes possédaient tous de grandes barbes salies par le travail de la journée, et parlaient avec rudesses à leur femme qui le leur rendaient bien. Aucune finesse ne transparaissait dans leur parole, et leur vocabulaire était si pauvre qu'ils mirent un instant pour comprendre Géraud et lui répondre, lorsqu'il leur demanda poliment où ses compagnons et lui-même pourraient loger. Ce n'étaient ni plus ni moins que des paysans, au final.

En suivant un nain qui s'était proposé comme hôte, et qui conduisait maintenant ses invités jusqu'à sa demeure, Géraud vit des enfants fouiller dans la terre, les mains boueuses.

« Mais je vous vois ravi de rencontrer mon peuple, Géraud. » chuchota Ylaine sur un ton de plaisanterie.

- Vous m'excuserez, cependant...

- Cependant les nains sont sales, simplets, et incultes. Ne vous inquiétez pas, vous ne m'apprenez rien ! » elle eut un petit rire moqueur, avant de finir : « il faudra vous y habituer, mon pauvre ami, ils sont tous comme ça. » Le professeur avait préféré ne pas révéler tout de suite qu'ils étaient aussi des joueurs invétérés ; mais au final, cela ne changea rien, puisqu'il l'apprit le soir même : juste après le repas, plusieurs hommes nains vinrent autour de la table battre les cartes. En effet, il y avait bien moins de maisons que de familles, ce pourquoi les habitations étaient si larges : les nains aimaient vivre par groupe, et Géraud se rendit vite compte que les mères surveillaient tous les enfants, non uniquement les leurs, comme les pères réparaient même un toit sous lequel ils n'allaient pas dormir le soir.

Géraud déclina la proposition qu'on lui fit de participer pour se mettre à l'écart. Bientôt il rencontrerait le roi nain, et pourtant il n'était pas sûr encore de ce qu'il lui dirait, ou plutôt de la façon dont il devrait le dire ; tantôt l'alliance formée par son père lui semblait solide, et il espérait pouvoir lever une armée, reconquérir le pays de Gemmes, rentrer triomphalement au comté des Marches ; tantôt il se demandait s'il aurait seulement un asile. N'était-il pas au sein de la contrée de son allié, et pourtant caché sous les traits d'un elfe ? Et n'avait-il pas été dépossédé de ses droits par sa famille ?

Inconsciemment, sa main gauche s'était rapprochée d'Ascalon, et il en apprécia le contact. Avec les conseils d'Ylaine, l'épée se trouvait être son plus précieux soutien, comme une preuve de son bon droit.

La légende d'AscalonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant