Chapitre 10 : la petite pièce enfouie sous terre

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Cornélius avait tenté plusieurs fois de convaincre Géraud qu'il fallait étendre les Marches au-delà du Dracung, tuer Fernand, et ne pas recourir à l'avis du roi ; mais son têtu de petit-fils ne voulait rien entendre. Il réessaya une nouvelle fois, ce qui n'eut pour seul effet que de provoquer la colère du nouveau comte des Marches.

« Comme vous le voudrez. » concéda finalement Cornélius.

C'est à ce moment-là qu'il appela les gardes qui avaient déjà servi ses projets, et qu'il leur donna de nouvelles instructions. Quelques jours passèrent, puis le vieil homme se rendit aux cachots.

Cornélius rentra dans sa chambre qu'il verrouilla de l'intérieur. Puis il souleva l'épais tapis qui s'étendait devant son lit, révélant ainsi une trappe. De ses doigts tremblants, il l'ouvrit et descendit les escaliers que la trappe avait jusque-là dissimulés.

Le château de Sainte-Odile comptait plusieurs prisons, mais Cornélius avait jugé préférable d'en construire une secrète, qui donnait aussi sur une autre sortie, en cas de siège.

Le vieillard dépassa les premières portes, et, à l'aide d'un flambeau accroché sur sa droite, à l'entrée du couloir, il parvint à une petite salle, pauvrement meublé. Il s'y trouvait un bureau, des feuillets, des livres rangés dans une étagère basse, un coffre rempli de quelques décoctions aux couleurs suspectes, c'est-à-dire toute l'âme secrète du vieillard. Pour manipuler son entourage, il s'était évertué à ce que personne ne le connût vraiment, afin que personne ne pût anticiper ses buts, deviner ses désirs. Et maintenant plus que jamais, même si les faiblesses de l'âge craquelaient l'aura de mystère qu'il s'était créé, si des mouvements brusques d'humeur toujours existants chez lui, auparavant mieux contrôlés, désormais visibles quand on dérangeait ses habitudes ou qu'on contredisait trop évidemment son point de vue, trahissaient sa véritable personnalité, maintenant plus que jamais, peut-être d'ailleurs parce qu'il sentait sans en comprendre la raison qu'on lui résistait et que l'on devinait mieux sa duplicité, l'intimité de son cabinet seulement préservé par un verrou ne le rassurait plus, il se claustrait dans cette pièce secrète, pour lire des écrits d'hommes au cœur semblable au sien qui partageaient au travers de la page leurs sentiments, leurs questionnements, ainsi que leurs propres moyens d'asseoir leur puissance. Entre autre ouvrages reposaient ici des mémoires d'un tyran très célèbre et très redouté à son époque, même s'il était désormais à peu près oublié, un essai tentant de comprendre ce qui différenciait les esprits faibles des quelques âmes supérieures, et un ensemble de réflexions sur une définition du pouvoir, de l'autorité, de la soumission. Ces quelques résumés donneront une idée non-exhaustive des livres rassemblées dans la petite pièce enfouie sous terre.

Enfin, un crochet au mur soutenait une cage suspendue ; et dans la cage, il y avait quelqu'un.

« La nuit n'a pas été trop longue, j'espère ? » ricana Cornélius.

Il leva un peu son flambeau pour éclairer le visage carré, les yeux enfoncés et cernés de sa prisonnière, Ylaine. Elle n'avait pas vu la lumière depuis que Claude lui avait apporté de la nourriture, il y avait plus de six heures, et restait la majeure partie du temps dans le noir complet, les mains attachées à un barreau. La préceptrice ne prit pas la peine de répondre, et se contenta de fixer son interlocuteur.

Cela faisait une dizaine de jours qu'elle se trouvait enfermée ici. Après l'avoir assommée, Limbert et ses hommes l'avaient faite rentrer de nuit, par une porte dérobée, jusqu'au cabinet de Cornélius. Le vieillard avait ensuite renvoyé les gardes sauf Claude, qui l'avait aidé à transporter sa captive ici, et les soldats étaient revenus le matin suivant par la route principale, désobéissant au châtelain pour mieux servir leur véritable maître. Claude lui apportait ses repas, qu'elle devina plus consistant que ce qu'aurait voulu le vieil homme. Il ne l'avait pas torturée, pour l'instant, si ce n'était l'obscurité dans laquelle il la faisait vivre, encagée et ligotée.

La légende d'AscalonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant