Chapitre 22 : Gratien Tourton

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Dans les couloirs glacés du palais claquaient les pas pressés du conseiller Gratien Tourton. Il avait soixante ans passés mais différentes affaires l'appelaient de tous côtés. Le conseiller ventripotent devait s'agiter chaque jour pour faire prospérer une région qu'il régissait, et qui enregistrait ces derniers mois une diminution légère mais inexorable dans l'exportation au niveau national du liège. Cette diminution le préoccupait, et le conseiller n'avait de cesse de donner des ordres et d'envoyer des lettres afin de rétablir un peu la situation.

Il parvint enfin dans la salle réservée à l'établissement de la protection du territoire nain, et s'y installa en attendant que les derniers retardataires arrivassent. Cette diminution d'achat de liège tournait encore et encore dans la tête du conseiller Gratien. La seule solution qu'il envisagea fut de renouer un pacte commercial avec son plus gros acheteur de liège, en lui achetant un peu de chaume qu'il vendait en grande quantité. Le conseiller Tourton modifia légèrement le rapport qu'il comptait faire, afin de mettre en avant la capacité isolante de la chaume, qui serait parfaite pour construire des maisons provisoires en faveur des frontaliers.

Enfin, le responsable de la défense, le jeune comte humain arrivé il y a peu, prit la parole, et fit une entorse à la règle : il s'adressa au secrétaire au lieu de demander au conseiller le plus à sa droite de commencer son rapport. Cependant, les autres participants n'eurent pas le loisir de lui rappeler.

« Vous là, êtes-vous bien en charge de noter l'ordre du jour et les décisions qui ont été prises ?

- Oui. répondit le secrétaire.

- Bien. Vous êtes destitué de votre charge. » déclara le responsable.

Gratien Tourton eut un mouvement de surprise mais préféra intervenir, et expliqua calmement :

« Si vous me permettez... Il ne me semble pas pertinent de laisser une assemblée sans secrétaire, et mon collègue semble tout à fait à la hauteur de cette mission.

- En tant que chef de cette assemblée, j'ai jugé que le secrétaire ici présent ne faisait pas un travail correct. En attendant de trouver une personne qui remplisse correctement ce poste, j'assumerai moi-même ce rôle. »

Des protestations s'élevèrent ; mais le jeune homme rétorqua :

« Vous êtes libres de partir si cette méthode ne vous convient pas. Sinon, vous êtes sous mes ordres. »

L'héritier des Marches fit sortir le conseiller, prit la plume et la feuille de papier que le nain avait laissées, et déclara la séance ouverte.

Il stoppa net le premier nain qui voulut faire son rapport, en arguant qu'en tant que nouveau secrétaire, ce n'était pas ce qu'il avait inscrit à l'ordre du jour. Il fit ensuite une brève explication des premières mesures qui seraient prises pour la protection de la frontière naine, et, intuitivement, en demanda finalement bien plus que ce qui aurait été possible. A la fin de son exposé, presque tous les nains clamèrent leur désaccord. Mais Géraud nota tout de même les mesures comme acceptées par la majorité.

A midi, la réunion était terminée. Tous les conseillers se rendirent immédiatement à la salle du trône. En tant que secrétaire, Géraud fit de même, le résumé de la séance à la main.

Un grand bruit se fit dans la salle du trône. Les conseillers demandèrent audience au roi, et acceptèrent tacitement que Gratien Tourton les représentât afin d'expliquer au roi leur mécontentement. Haldor III fit un geste de la main pour dire qu'il acceptait d'écouter leur requête.

« Sire, expliqua Tourton, mon seigneur ; je me fais le porte-parole de mes confrères pour dire la colère que nous éprouvons ; nous ne remettons pas en cause le choix que vous avez fait de nommer l'homme ici présent comme responsable, bien sûr...»

Déjà le roi fronçait les sourcils, et Gratien Tourton écourta sa plainte.

« Nous jugeons les mesures prises sans considération pour l'opinion des autres membres du conseil, et surtout, nous les jugeons mauvaises pour le pays. Nous demandons que le rapport soit nul et non avenu, et exigeons la démission du responsable de la défense. »

-Bien. J'examinerai ce rapport et je prendrai ma décision. » répliqua le roi d'une voix sans appel.

Satisfaits, les conseillers se dispersèrent en marmonnant leurs récriminations. Haldor III n'accorda pas un regard aux conseillers ou au jeune homme ; un membre du Haut Conseil se trouvait à côté de lui, et il lui continua à lui parler comme il le faisait avant que les nains entrassent et l'interrompassent.

Géraud lui-même ne s'attarda pas : ses paquetages étaient faits et il était prêt à partir si on le lui demandait.

La légende d'AscalonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant