Le vieillard resta parfaitement immobile, son visage même s'étant figé. Malgré la stupéfaction qu'il éprouvait de voir son petit-fils ici ainsi que l'évidence de sa compromission aux yeux du jeune homme, il parvint tout de même à se reprendre, et, avant même que Géraud n'ouvre la bouche, à déclarer doucement, d'une voix mielleuse :
« Je vois bien ce que tout cela à l'air pour vous. Votre professeur est là, enfermée, vous désirez vous porter à son secours, et vous m'en voulez parce que je ne suis pas toujours de votre avis. Considérez seulement ceci : tout le bien qu'elle a fait ne visait qu'à vous trahir, tandis que tout ce que vous avez perçu de blessant chez moi n'avait pour seul but que de vous aider dans votre prise de pouvoir. Je vous ai porté sur le trône des Marches, j'ai aplani tous les obstacles devant vous. Qu'a-t-elle fait, elle, si ce n'est vous dérober le symbole de votre puissance, Ascalon ?
- Silence ! » cria Géraud ; il avança et dégaina son arme, laissant la lumière de la torche se refléter sur la garde qui semblait elle-même diffuser une lueur, cette garde si reconnaissable faite en écaille dure d'un jaune translucide, et dont le pommeau représentait une gueule de dragon ouverte.
Ce fut ainsi que Cornélius comprit qu'il avait commis une erreur en estimant que chacun de ses mensonges demeurait infaillible, que Géraud n'avait aucune preuve tangible pour le soupçonner, et que, si le jeune homme avait dissimulé l'envoi d'une lettre au marquis de Terte, il n'aurait pu cacher le véritable emplacement d'Ascalon dès son arrivée et durant les multiples conversations qui avaient suivi à propos de l'épée. Il comprit, trop tard, que chacune des mentions du crime d'Ylaine, de sa mort après sa fuite, n'avait fait que renforcer chez Géraud le sentiment que la vérité lui était dissimulé et qu'il devait la retrouver. Il n'imagina pas néanmoins, tandis que cette infinité de pensées lui traversaient l'esprit, qu'il aurait peut-être plus avantageux de ne pas mentir du tout, c'est-à-dire de laisser son fils cadet au pouvoir tout en protégeant la vie de Géraud, ou de ne pas chercher à se substituer à l'autorité d'Ylaine, ou de discuter réellement avec son petit-fils afin de comprendre ses arguments, et peut-être de les contredire par des arguments pertinents ; enfin, quand le plat de la célèbre lame le frappa, parmi les multiples réflexions sur la faille dans son plan qui le parcoururent, celle de dire simplement et entièrement la vérité ne l'effleura même pas.
Le vieil homme s'effondra sur le sol. Il avait du sang qui lui coulait du crâne. Géraud tenait encore la pointe de son épée dans sa direction. Sa préceptrice l'appela, et il détourna soudainement la tête. Il rengaina Ascalon, défit les liens de sa préceptrice ; quand elle lui eût indiqué où était rangée la clef, il ouvrit la cage, prit Ylaine dans ses bras mais ne la reposa pas au sol immédiatement.
« J'ai cru que vous étiez morte...
- Oh, je l'ai plus ou moins cru moi aussi, vous savez. » rit Ylaine, par réflexe, tandis que dans son soulagement elle sentait que ses forces l'abandonnaient. Ses bras se desserrèrent du cou de son élève qu'elle avait tenu pour l'aider à l'extirper de la cage, et il la retint contre lui pour qu'elle ne tombât pas.
Claude entra dans la salle à ce moment-là, et constata que Cornélius gisait à terre. C'est lui qui avait conduit Géraud jusqu'au sous-sol. Claude avait indiqué au jeune homme où demeurait Ylaine, tandis qu'il s'était dirigé vers une autre salle où il avait cru que se trouvait le vieil homme, un bruit d'eau l'ayant trompé.
Ils sortirent. Ylaine reprit conscience quand ils traversaient le couloir pour remonter à la surface. Ils franchirent les escaliers, et voulurent sortir de la chambre de Cornélius.
« Non, attendez..., murmura soudainement Ylaine.
- Il faut partir. » la pressa Claude.
« Géraud, posez-moi.
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La légende d'Ascalon
FantastikGéraud est le fils du seigneur des Marches, destiné à lui succéder. Sa vie bascule quand des créatures ravagent l'endroit où il vivait. Sans terres et sans allié, son pouvoir est menacé ; tout ce qui lui garantit sa légitimité est Ascalon, l'épée lé...