Le lendemain avait lieu la réunion pour la Défense du territoire nain. Tous les loups-garous infiltrés dans le royaume avaient été retrouvés morts, comme décimés par une étrange maladie qui les avaient rendus agressifs les uns envers les autres et qui les avaient amaigris. Pas un ne semblait avoir survécu. L'hypothèse de l'épidémie restait improbable selon Géraud, parce que les cadavres de loups-garous avaient été retrouvés dans des lieux éloignés les uns des autres. Comment une maladie avait-elle pu les frapper dans ces conditions ? Le plus étrange était qu'ils semblaient être tous décédés à peu près en même temps : après les deux nuits dramatiques, aucune attaque n'avait été recensée.
L'assemblé débattit de l'organisation de la défense, et exceptionnellement, se réunit quatre jours de suite afin de mettre tout en place. Elle monta un compte-rendu pour débloquer des fonds, puis chaque conseiller partit accomplir sa tâche. Géraud lui-même dicta une longue lettre à un secrétaire qui la recopia et l'envoya à tous les officiers du pays, rencontra plusieurs architectes et plusieurs charpentiers, modifia des commandes d'épées et de haubert. Après seulement, il put rendre visite à Sigmar.
Un châtiment avait été prononcé à son encontre. Les nains, usant de leur esprit pratique, l'utilisaient comme cheval de trait dans des travaux. Un seul accès était assez large pour permettre à un centaure de pénétrer dans cette partie de la ville, que plusieurs nains gardaient à différents endroits. Sigmar n'avait pas tout de suite compris quel formidable geôle se trouvait être la capitale. Il avait tenté de s'enfuir plusieurs fois, mais en finissant toujours coincé dans des rues trop étroites pour lui, assaillit par les nains qui l'emprisonnaient à l'aide de cordes et le ramenaient d'où il venait.
Géraud demanda aux gardes d'enlever l'attelage que transportait le centaure, et de les laisser en tête-à-tête. Les nains n'émirent aucune résistance ; plusieurs se placèrent tranquillement sur les toits, très facilement accessibles dans cette ville. L'un d'eux vit que Sigmar le regardait, et lui fit un petit signe de la main avec un sourire cynique.
« A combien de temps a été fixée ta peine ? demanda l'héritier des Marches.
- Vous êtes là pour me narguer, hein ? siffla le centaure avec mépris.
- Non. J'ai un marché à te proposer. Je peux réduire ta peine en échange d'informations. »
Sigmar garda le silence, sans montrer un signe d'acceptation ou de refus. A tout hasard, Géraud l'interrogea :
« Depuis combien de temps es-tu banni ? »
La figure du centaure s'assombrit, et il détourna la tête. L'héritier des Marches demanda dans un dernier essai :
« Connaissais-tu Faër ?
- Lequel ? répondit brusquement Sigmar ; il avait l'air piqué qu'on appelle un autre centaure par un diminutif.
« Faërich.
- Ça ne veut rien dire ! Faërich fils de qui ? La moitié des centaures du clan des plaines s'appellent Faërich !
- Je ne sais pas son nom complet, mais on le surnomme La Concorde des Peuples. »
Sigmar marqua un temps de surprise. Son visage trahissait une émotion assez particulière : Géraud n'y vu pas de mépris ni de l'admiration, mais plutôt comme une colère contenue par un certain malaise.
« Tout le monde a entendu parler de la Concorde des Peuples. »
Il hésita un instant sur la façon dont il devait continuer, puis précisa finalement :
« Mais je ne l'ai jamais vu. C'est lui qui a établi le contact entre les centaures et les autres pays, et c'est de là qu'il tient son surnom. »
Géraud n'en tira rien de plus à ce sujet ; Sigmar se montrait encore méfiant, et avait pris le parti d'en dire le moins possible plutôt que de donner des informations malgré lui. L'héritier des Marches discuta encore un peu le centaure, qui n'eut pas d'accès de colère comme lorsque Gratien Tourton avait parlé de la Kryptie. Sigmar devait avoir environ treize ans ; mais il se posait déjà comme un guerrier accompli, sûr de ce qu'il savait et de ce qu'il valait. Pour cette raison, le centaure n'hésitait pas à prendre d'honnêtes nains de haut alors qu'il en était réduit à voler des villages et détrousser des voyageurs. Géraud constata que ces nains-là s'étaient montrés plus perspicaces qu'il ne l'aurait cru en choisissant d'appeler leur prisonnier « Sa Majesté des Rapines ».
Le captif se montrait plus calme tant qu'on acceptait de le traiter en adulte, et que l'on montrait qu'on le respectait ; son sens de l'humour ne devait pas être développé, mais Géraud préféra ne pas le vérifier.
« Je peux alléger ta peine, mais le roi me demandera quelle preuve j'ai que tu retourneras bien dans ton pays, et que tu cesseras de dérober des vivres. » expliqua Géraud.
Sigmar se rembrunit : il croyait que son interlocuteur se justifiait pour n'avoir rien à lui donner en échange des informations.
« Une fois que tu seras libéré, la situation sera la même qu'avant, au final. Or, je pense que j'ai mieux à te proposer. »
Géraud s'interrompit un instant pour laisser son interlocuteur réagir, sans que ce dernier ne fasse autre chose que le fixer avec défiance.
« Tu as une bonne maîtrise de l'épée, et tu as besoin d'un lieu où vivre. De mon côté j'ai des appartements à ma disposition, mais j'ai besoin d'un maître pour m'apprendre ses techniques. »
Bien sûr, Sigmar n'accepta pas immédiatement : il avait tout de même fait l'éloge de la Kryptie, et il la trahissait s'il optait pour cet arrangement.
« Je te laisse réfléchir. Je reviendrai, déclara finalement Géraud.
- Quelle est la deuxième question que vous m'avez posée ?
- Pardon ? demanda Géraud un peu surpris.
- Votre deuxième question. » répéta obstinément Sigmar.
Géraud ne saisit pas très bien où son interlocuteur voulait en venir ; il comprit néanmoins qu'il devait s'agir de la deuxième question posée au tout début de leur discussion. Le jeune homme fouilla un peu dans sa mémoire, et répondit un peu hésitant :
« J'aurais aimé savoir depuis combien de temps tu étais banni.
- Cela fait un an et dix mois.
- Mais... ? Je croyais que la Kryptie ne durait qu'un an !
- Oui. » lâcha Sigmar.
Le prisonnier regarda tout à coup Géraud fixement, les yeux dans les yeux. Et, comme s'il délivrait alors une vérité qu'il avait longtemps réprimée, il ajouta :
« Voilà. »
Puis il se retourna et repartit vers l'attelage dont on l'avait détaché tantôt. Etonnés de sa docilité, les nains descendirent des toits et ne firent aucun trait d'esprit, contrairement à leur habitude.
Ce jeu de questions et de réponses occupa l'esprit de Géraud tout le long du trajet jusqu'au Palais. L'héritier des Marches y rencontra ensuite le conseiller qui s'occupait plus particulièrement de la diplomatie avec les centaures, et obtint sans trop de difficulté la libération de l'adolescent.
L'on installa Sigmar dans l'ancienne chambre de Faër ; à l'inverse de Géraud à son arrivé, le centaure ne put cacher sa stupéfaction devant tant de richesses. Puis les entraînements débutèrent.

VOUS LISEZ
La légende d'Ascalon
FantasíaGéraud est le fils du seigneur des Marches, destiné à lui succéder. Sa vie bascule quand des créatures ravagent l'endroit où il vivait. Sans terres et sans allié, son pouvoir est menacé ; tout ce qui lui garantit sa légitimité est Ascalon, l'épée lé...