Chapitre 13

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Naoko n'avait pas prononcé un mot depuis son altercation avec Liam ; ses paroles, acérées et piquantes, résonnaient encore à ses oreilles comme un refrain agaçant dont elle ne parvenait pas à se débarrasser. Ses phrases n'avaient pas été prononcées dans le but de la heurter, mais peut-être était-ce justement pour cette raison qu'elles paraissaient si blessantes. Elle ne s'expliquait pourtant pas pourquoi la douleur se ravivait à chaque fois que le regard d'un membre de l'équipage se posait sur elle, aussi neutre soit-il. L'océan s'étendant à perte de vue sous ses yeux, la jeune fille n'arrivait pourtant pas à créer le vide serein que l'étendue marine lui évoquait généralement. Les remous qui s'immisçaient dans la crique que formaient les rochers et s'écrasaient de manière irrégulière contre la coque du bateau la fascinaient, tant par leur puissance contenue que par leur ressemblance avec ses pensées désordonnées.

Les éclaboussures que les vaguelettes provoquaient en se brisant sur le navire se transformaient en gouttes épaisses, scintillant sous les rayons du soleil qui entamait sa descente, et défiaient la gravité en traçant de gracieux arcs de cercle avant de rejoindre l'immensité de l'eau. L'écume refluant et se repliant, parfaite métaphore de ses songes tumultueux, aimantait son regard comme si les réponses à ses questions informulées s'y trouvaient.

En levant les yeux vers l'horizon, une bouffée du spectre étendu d'émotions que Naoko éprouvait habituellement à proximité de la mer l'effleura. Un peu de sérénité au milieu de la tempête émotionnelle qui faisait rage en elle. Un soupçon de relâchement au sein d'une tension constante. Un brin de liberté dans le cloisonnement moral qu'avait été la plupart de sa vie. Une nuance de bleu dans un ciel de nuages gris.

Au milieu de cet éventail de sentiments qu'elle détaillait instinctivement, la jeune fille se détourna de l'océan pour quitter la poupe du navire, traverser le pont jusqu'à l'échelle de cordes et dégringoler les échelons avec une adresse presque innée. Ses baskets battaient les planches de bois du ponton, provoquant un bruit sourd à chacun de ses pas sans penser à un seul instant à jeter un regard en arrière. Ayant surpris une conversation entre Liam et Lyna, mentionnant entre autres choses leur départ, qui n'était pas prévu avant plusieurs jours, Naoko ne s'inquiétait pas de ne pas retrouver le bateau à son retour.

Alors, elle s'en éloigna sans regret pour s'enfoncer entre les bâtiments en pierre grise, vrillant un regard noir à chaque passant qui posait les yeux sur elle. L'adolescente s'étonnait du réseau complexe que les rues formaient entre elles, créant des méandres de gris et de bois que certains habitants tentaient d'égayer à l'aide de fleurs colorées. Des enseignes métalliques signalaient à l'aide d'un symbole la présence de commerces, dont le nombre variait d'une rue à l'autre. Boulangeries, fleuristes, couturiers et tavernes se mêlaient aux habituations, et se confondaient même peut-être avec ces dernières.

Sur une place circulaire qu'elle décida immédiatement de ne pas visiter, Naoko aperçut les étalages d'un marcher se masser autour d'une fontaine imposante, composée de trois bassins superposés et carrelé d'une mosaïque dégradant les nuances de bleus, glissant librement du clair au foncé. Le principal, celui qui soutenait l'entièreté de la structure, était alimenté par un mince rideau d'eau s'écoulant d'une vasque surplombant le large bassin inférieur. La coupe supérieure, dominant par son emplacement, semblait de taille bien réduite par rapport au reste de la construction. Quatre jets d'eau formant une courbe parfaite s'en échappaient pour s'écouler sur la surface inférieure, provoquant probablement une mélodie cristalline qui se noyait dans le vacarme du marché.

Naoko ne s'intéressait que très peu aux différentes formes d'art ; cependant, l'absence d'une statue sur le socle au sommet de la fontaine paraissait flagrante, même pour ses yeux mal entraînés. Ceux-ci furent d'ailleurs attirés par une silhouette, mince et élancée, pourtant quelconque parmi celles qui l'entouraient, mais elle savait l'avoir déjà rencontrée. Alors qu'elle s'apprêtait à s'élancer dans la foule formée autour des étalages, une main lui agrippa le bras et la retint fermement à la place qu'elle occupait. Ses mèches blondes lui fouettèrent le visage lorsqu'elle fit brusquement volteface. S'attendant à tomber face à une menace directe, son corps se tendit et son poing se referma sur lui-même jusqu'à ce qu'apparaisse dans son champ de vision une masse imposante de boucles rousses.

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