Chapitre 23

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La tête penchée en arrière, Lola observait distraitement le plafond de la salle d'eau, le cœur étreint par une nostalgie aussi douce qu'amère, les souvenirs de sa mère l'affublant de coiffures amusantes lorsqu'elle était petite défilant dans son esprit. Avec une délicatesse ferme, Raven démêlait les longs cheveux noirs de son amie à l'aide d'une brosse en écaille de Cedérès. Avec une peau aussi dure que de la pierre et souple comme les feuilles des arbres, ce petit reptile muait après chaque hiver, permettant de profiter de cette denrée précieuse qui ne lui servait alors plus. L'adolescente, appréciant pourtant le soin apporté à ses cheveux, était un peu embarrassée par ce contact ; non par pudeur ou parce que la proximité physique la mettait mal à l'aise, mais bien parce qu'elle craignait de donner l'impression de ne pas être capable de se coiffer elle-même.

Lola ne se risqua cependant pas à émettre une quelconque remarque à ce sujet : elle avait conscience que Raven infirmerait avec véhémence, assurant justement qu'elle s'exécutait avec plaisir. Aussi se contentait-elle d'éviter de croiser son reflet dans le miroir lui faisant face en cherchant les défauts dans le plafond. Contrairement à celui de la chambre, couvert de plâtre blanc vieilli, un carrelage bleu clair le recouvrait, qui s'étendait sur les murs en alternance avec des pavés aux nuances plus foncées. Il s'agissait probablement des seules pièces dépourvues du revêtement noir vernis que semblaient particulièrement affectionner les architectes de l'Académie.

La pièce paraissait assez simple, lorsqu'on n'y prêtait pas attention ; mais le matériel et les produits la ponctuant donnaient l'impression à l'adolescente que les élèves de l'établissement étaient traités avec un luxe démesuré. Une large bassine reposait contre le mur du fond, dans lequel de hautes cavités étaient occupées par des briques de savon et de shampoing, ainsi que des bouteilles colorées de diverses lotions et huiles dont Lola avait déjà oublié les différentes propriétés. Des cruches, qu'elles n'avaient jamais eu à remplir, s'agglutinaient près d'un réchaud en cuivre sous lequel patientait une dizaine de bougie aux mèches noircies. Une cuvette en granit surmontait un meuble de bois sous le miroir que l'adolescente évitait soigneusement de contempler.

Plus elle l'observait, et plus cette opulence la dérangeait, tout comme son reflet dans la glace induisait en elle un malaise croissant ; si l'adolescente était rapidement émerveillée par ce que ses sens décelaient, elle n'était pas assez naïve pour croire que tous les habitants de Gwaohar jouissaient du même confort. Pourquoi elle, qui n'appartenait même pas à ce monde, avait-elle le droit de profiter de ses bienfaits alors que d'autres qui étaient nés ici et qui apportaient quelque chose à la société ne le pouvaient pas ?

-Et voilà, indiqua Raven en glissant une dernière fois la brosse dans les longs des cheveux de son amie. Plus aucun nœud à l'horizon.

Alors que Lola captait le regard indigo de la jeune fille dans la surface réfléchissante, cette dernière lui adressa un sourire posé et réconfortant, possédant la capacité de motiver et de rassurer simultanément. Aussi solide qu'un hêtre vigoureux, doux comme une tisane réchauffant les nuits d'hiver. Puissance et délicatesse. Ténacité et sensibilité. Une des singularités de son amie, un secret jalousement gardé d'elle seule. Le pouvoir d'assurer que tout irait pour le mieux avec une sincérité profonde en un simple petit étirement des lèvres.

-Merci, répondit l'adolescente.

Hésitant quelques secondes, elle se lança finalement, encouragée par ce moment de complicité inattendu qu'elles venaient de partager :

-Il t'a fallu du temps, pour accepter et maîtriser ton affinité ? Ou même les autres éléments, en fait.

-Eh bien, j'apprends toujours, expliqua calmement Raven. Je me débrouille, mais rien n'est encore naturel pour moi. Même invoquer l'Eau consiste un effort, qui devient de moins en moins conséquent avec le temps. Je peux l'utiliser et la plier à ma volonté dans une certaine limite, que j'aimerais repousser au maximum. Et là, je sens que j'en suis encore loin.

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