Pirates and Magic

Chapitre 15

Le trot irrégulier de sa jument engourdissait progressivement les muscles de Luka alors qu'il chevauchait sous la fine pluie dégoulinant le long de sa cape grise. Les sabots de l'animal émettaient un bruit de succion alors qu'ils s'enfonçaient dans l'herbe boueuse constituant le chemin qu'ils étaient forcés d'emprunter au sein. Les arbres, pourtant hauts et solides, n'offraient aucune protection aux intempéries d'intensité variable qui tombaient de manière continue depuis plusieurs jours dans la forêt Delyéna. Leurs feuilles ployaient sous le poids impitoyable de l'eau et ne trouvaient pas un seul moment de répit pour reprendre des forces et se préparer à un nouvel assaut d'averse.

En ce moment même, Luka se sentait aussi démuni que la végétation s'inclinant face aux caprices du ciel. Modeste maître de l'Eau, il n'était pas capable de faire capituler les intempéries à sa volonté ; et il ignorait comment se préparer à l'entrevue qui l'attendait à sa destination. Il aurait dû demander à Sylka de forcer l'allure, mais il n'en ressentait ni l'envie ni le courage. Sa jument avait parcouru une longue distance et il ne tenait pas à la fatiguer davantage ; les conditions de voyage ne s'étaient montrées clémentes envers aucun d'entre eux. Les oreilles brunes du cheval se mouvaient régulièrement, à la fois pour chasser les gouttes et pour rester alertes aux bruits environnants de la forêt, et ses crins humides se rassemblaient en mèches désordonnées.

Quant à lui, il s'agissait de la première fois qu'il était sollicité pour ce genre de mission. Luka se sentait aussi honoré qu'anxieux vis-à-vis de cet entretien qui se profilait sans qu'il ne puisse se défiler. Le maître de l'Eau lâcha ses rênes et soupira en rajustant sa capuche sur ses cheveux bruns. Le tissu imperméable le protégeait efficacement de la pluie, mais il semblait également retenir en lui toutes ses appréhensions. Ses convictions étaient intactes ; mais il s'interrogeait au sujet de certaines manières employées.

En atteignant une percée dessinée par les arbres, si petite qu'elle ne méritait même pas le nom de clairière, il songea qu'il ferait mieux de dissimuler cette pensée dans les limbes de son esprit. Celui qu'il s'apprêtait à rencontrer n'apprécierait pas ce genre d'incertitudes. À l'aide d'une simple interjection, douce mais impérative, il interrompit la course de Sylka pour jeter un regard circulaire de ses yeux marron. Les arbres s'écartaient pour laisser la place à un large tapis de terre parsemé de brins d'herbe hardis qui, lorsque le climat s'y prêtait, devait pulluler de champignons. Des plantes grimpantes glissaient sur le haut des troncs, recherchant à la fois un abri contre l'agressivité de la pluie et une percée vers la lumière du soleil.

Les lieux ressemblaient précisément à la représentation qu'on lui avait fournie et qu'il avait été contraint de détruire ; il en avait d'ailleurs ressenti un pincement au cœur, en observant la délicatesse des traits du dessin. Il s'était vaguement interrogé quant à sa provenance : était-ce un homme de Tay qui l'avait réalisé ou un artiste indépendant qui avait été payé pour l'esquisser en quelques traits précis ?

Sans savoir s'il tentait de rassurer la jument ou lui-même, Luka lui flatta l'encolure avec une affection non contenue. Les battements de son cœur, dont la cadence était déjà élevée, accélérèrent davantage alors que ses yeux ne discernèrent que la forêt aux alentours. S'il s'était trompé d'endroit, il ignorait non seulement comment trouver le bon chemin, mais aussi qui contacter pour le communiquer sans subir les conséquences d'une éventuelle réprimande. À ce moment précis, une chaumière au toit sombre et granuleux et aux murs de pierres blanches striés de bois se matérialisa sous les arbres détrempés.

Le maître de l'Eau était parfaitement conscient du fait qu'elle n'apparaissait pas de nulle part, qu'elle était présente dès le départ mais simplement dissimulée à sa vue ; et que si elle s'était dévoilée, c'était uniquement parce que son arrivée imminente avait été communiquée à son propriétaire. Il se demanda vaguement comment il était possible de maintenir une telle illusion. Plus il y réfléchissait, et moins il était sûr de souhaiter connaître l'étendue de ses pouvoirs.