Enroulée dans son long manteau marron, Charlie glissait comme une ombre le long des bâtiments de Raïka. Visible aux yeux de tous, elle était pourtant dissimulée par les passants eux-mêmes et leurs opinions hâtives. Elle suscitait en eux déni et dédain. Deux attitudes qui la masquaient aux yeux de tous encore plus sûrement que l'élément avec lequel elle possédait une affinité. Un sourire étira ses lèvres ; elle avait toujours trouvé saisissante la capacité de l'être-humain à se complaire dans une ignorance réconfortante du monde qui l'entourait. En exploitant ce trait si répandu, il devenait presque trop facile de se fondre dans le décor. Presque trop aisé de récolter les informations que leurs détenteurs préféreraient pourtant ne pas ébruiter.
Alors que la jeune femme tournait à l'angle d'une ruelle délabrée, le vent s'éleva sur les pavés gris, agitant comme une vague de végétations les brins d'herbe et les pétales de fleurs abandonnés. Inspirant avec ferveur, elle s'enivra du courant d'air froid et humide, annonciateur d'un orage imminent. L'atmosphère lourde et déjà électrique grisait son esprit et aiguisait ses sens, crépitant d'impatience et d'anticipation. Ce temps, propice à la discrétion et à l'appel des Ombres, avait le don d'égayer son humeur – ce qui pouvait s'avérer difficile, lorsqu'elle observait avec attention le labyrinthe de rues mornes et défraîchies que formait le quartier dans lequel elle habitait.
Pourquoi je n'habite pas dans un endroit plus chic, au juste ? s'interrogea-t-elle faussement en écrasant des brindilles sous la semelle de sa botte. Ah, oui, c'est vrai : parce que ma paye dépend trop du flot des voyageurs et des conversations intéressantes. Une violente bourrasque s'engouffra sous les pans de son long manteau et couvrit sa peau de chair de poule. Tenant fermement sa capuche pour la maintenir sur sa tête, Charlie avisa les quelques personnes présentes dans la rue s'empresser de rejoindre leur domicile. Pour sa part, elle ne se réjouissait pas tant de se mettre à l'abri que d'apercevoir les premiers éclairs zébrant le ciel avec panache et vivacité, tels des flèches argentées filant vers le sol.
Poussant la porte d'un bâtiment étroitement coincé entre deux autres, la maîtresse de l'Ombre lança un regard rapide et instinctif le long du couloir s'étirant devant elle. Vide. Tout comme la cage d'escaliers menant aux logis. Contrairement aux autres résidents, elle avait tenu à occuper la seule pièce du rez-de-chaussée percée d'une fenêtre. Elle demeurait la plus étriquée de toutes, mais au moins, elle pouvait surveiller les allées et venues de la bâtisse. Glissant sa main dans sa poche, elle attrapa une clé à moitié rouillée et rejoignit la porte du fond. La serrure se déverrouilla dans un clic retentissant aux oreilles de la jeune femme, qui se glissa aussitôt à l'abri de son minuscule foyer. La chose paraissait étrange, même à ses yeux, mais en observant la pièce exigüe qui lui servait à la fois de chambre, d'espace de travail et de salle à manger, elle songea qu'elle s'y sentait bien.
Le bureau, presque accolé au lit, pullulait de rouleaux de notes et d'informations officielles ainsi que de morceaux de parchemin gribouillés, agencés en un désordre structuré. Le matelas, monté sur des armatures en bois, s'étirait sous la fenêtre, recouvert des draps en bataille de Charlie. Comme si je n'avais rien de mieux à faire que de les arranger tous les matins, soupira-t-elle mentalement en pensant à sa mère, qui lui avait sommé des années durant de faire son lit chaque jour en se levant. Une simple planche servant d'étagère soutenait quelques livres disparates, dont certains qu'elle devait songer à rendre à la bibliothèque des Illimène.
Accrochant son manteau marron par la capuche d'un geste habitué, la maîtresse de l'Ombre esquissa un sourire lorsqu'un croassement familier s'éleva dans le logement. Detrahae, dont les plumes noires se confondaient avec l'obscurité environnante, agita les ailes de manière impatiente alors que la jeune femme se dirigea vers lui. Une fois le poignet de sa propriétaire tendu vers l'avant, le corbeau effectua un bond, bref et léger, pour s'y percher et planter ses serres dans le cuir de la manchette couvrant son avant-bras. Sa main caressa machinalement le plumage de l'animal, appréciant son contact doux et réconfortant, avant de dénouer le lacet de cuir retenant sa bourse à sa ceinture pour la lancer sur son bureau. Avec un hochement de tête satisfait, elle écouta le son des nombreuses pièces sur le bois massif.
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Pirates and Magic
FantasyNaoko, jeune fille indépendante et solitaire, décide de fuir sa famille d'accueil. Elle s'arrange donc pour partir dans un autre pays, là où personne ne pourra la retrouver. Cependant, alors qu'elle pensait être sur la bonne voie, ses plans sont com...