Pirates and Magic

Chapitre 21

Esseulée dans une pièce de la cale qu'elle n'avait pas encore visitée, Naoko immergeait inlassablement le linge sale dans la bassine, plongeant sans ménagement ses mains dans l'eau chaude et savonneuse. Alors qu'elle frictionnait à répétition l'étoffe sur la planche à laver, elle pestait de n'observer qu'une faible atténuation des souillures qu'elle s'acharnait à essayer de faire disparaître. Le travail en lui-même ne l'inquiétait pas, et prendre part aux activités quotidiennes de l'équipage la rassurait, estimant qu'elle s'intégrait peu à peu à la vie sur le navire. En revanche, la frustration de ne pas réussir à mener sa tâche à bien attisait sa mauvaise humeur avec autant d'efficacité qu'une flamme attirait les moustiques.

-Tu t'y prends vraiment comme un manche, la blonde, lança une voix depuis la dernière marche des escaliers.

L'épaule appuyée contre la poutre en bois, Lyna observait l'intéressée d'un regard dans lequel se mêlaient l'amusement et l'irritation. Une main sur sa hanche, les jambes croisées, elle dégageait une aura d'assurance et d'impitoyabilité, exacerbée par les rayons du soleil se déversant par l'encadrement de la porte et embrasant ses boucles rousses. Ses yeux noisette scrutaient Naoko avec une satisfaction non dissimulée alors qu'un mince sourire animait ses traits juvéniles.

Agacée, l'adolescente pinça les lèvres en une moue méprisante. Quand elle survivait seule dans la rue, elle était une habituée des laveries automatiques et s'était toujours occupée de sa lessive sans une aide extérieure. Elle était pourtant forcée d'admettre qu'elle ne l'avait jamais lavée à la main, s'appuyant sur l'efficacité relative de ces commerces précaires qu'elle fréquentait, mais l'entendre de la bouche de la jeune femme attisait sa colère. Lorsque, le matin même, cette tâche lui avait été assignée, elle s'était rapidement demandé s'il ne s'agissait pas en réalité de représailles pour avoir surpris et écouté la conversation entre le capitaine et sa seconde.

Sans un mot, Lyna s'agenouilla à côté du bassin en bois, face à l'adolescente, et s'empara d'une planche à laver qu'elle plongea dans l'eau mousseuse. Arrachant la tunique sale des mains de Naoko, la jeune femme empoigna la brique de savon aux effluves de citron et la frotta frénétiquement sur les taches constellant le tissu.

-Comment veux-tu faire disparaître les taches si tu n'entames pas le travail avant d'utiliser la planche ? l'interrogea-t-elle d'un ton sec.

Fronçant légèrement les sourcils, Naoko observa la seconde du capitaine exécuter la tâche qu'elle lui avait elle-même imposée sans réellement comprendre. Était-elle vraiment en train de l'aider ? Ou avait-elle trouvé une nouvelle manière de la déranger en vérifiant son travail ? Glissant son regard sur le visage de la jeune femme, elle s'étonna de le découvrir dénué de narquoiserie ; et si un certain mépris s'y lisait toujours, concentration et application l'occultaient pour y transparaître majoritairement.

-Là, conclut enfin Lyna en lui rendant le vêtement. Maintenant, tu peux utiliser la planche comme une acharnée, si c'est ce qui te fait plaisir.

Saisissant l'étoffe entre ses doigts, l'adolescente ne s'était pas encore départie de sa moue dédaigneuse lorsqu'elle poursuivit sa besogne. Surprise de constater que la seconde du capitaine s'emparait d'un pantalon pour le savonner, Naoko serra les dents et décida de parler, même si les mots qu'elle s'apprêtait à prononcer lui brûleraient la langue.

-Je n'aurais pas dû épier votre conversation, l'autre nuit, admit-elle à contrecœur.

Il ne s'agissait pas d'excuses, mais certainement ce qui pouvait le plus s'en rapprocher dans la bouche de Naoko.

-Non, tu n'aurais pas dû. Et c'était une bêtise de ma part de répondre à tes provocations enfantines.

Pas un pardon, ni une reconnaissance de leur comportement puéril. De simples constatations comme offre de répit, qui permirent de balayer leur confrontation pour continuer à se tolérer.