Chapitre 24

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Lorsqu'il marchait d'un pas rageur pour regagner le Black Parade, Riecyr était déjà de mauvaise humeur. Décidé à évacuer sa frustration, ses bottes chassaient les cailloux sur son chemin et éclaboussaient violemment les environs en s'abattant dans des flaques d'eau inappropriées. Espérant effacer le souvenir de ces quelques dernières heures, il ne s'attendait pas à voir sa journée empirer. Mais c'était exactement ce qu'il s'était passé en découvrant sur son trajet Liam, Lyna et Naoko – ainsi qu'un prêtre d'Almadëhlla qu'il avait directement relégué au rang de détail insignifiant – escortés par des gardes. L'instinct qui poussait le capitaine à toujours retrouver son équipage l'avait incité à tourner la tête vers le jeune homme et, discrètement, il avait secoué la tête pour lui faire comprendre de ne pas intervenir. Comme si Riecyr avait eu l'idée de se lancer à l'assaut des geôliers avec une garantie d'échec. C'était mal le connaître de croire qu'il ferait preuve d'un héroïsme irréfléchi.

Trois jours plus tard, debout sur le pont du Black Parade, le jeune homme, tourné vers l'horizon, ruminait avec irritation. Il ignorait ce que Liam avait en tête, mais il avait stupidement espéré que leur séjour à Alma serait de courte durée et qu'il pourrait y abandonner ses souvenirs désagréables ; mais non. Bien sûr que non. Ses plans avaient bien évidemment été détournés, comme la plupart du temps depuis qu'il s'était intégré à l'équipage du navire. Lui qui s'était promis de continuer à faire passer ses intérêts avant celui des autres... ou peut-être continuait-il à le faire ; simplement, il ne pouvait non plus se résoudre à abandonner son capitaine à son sort. Lyna, il aurait pu l'envisager ; mais pas Liam. Quant à Naoko... il ne se prononçait pas encore sur son cas.

Un soupir s'échappa de ses lèvres alors qu'il contemplait le paysage de ses yeux ambrés. Comme toujours à Alma, la mer était sereine et lumineuse, offrant un contraste parfait à l'humeur de Riecyr. Celui-ci ne comprenait même pas comment il pouvait avoir des attaches dans une ville qui reflétait avec une justesse effarante tout ce qu'il n'était pas. Un miroir inversé, un écho contradictoire. Une antithèse pertinente et saisissante de sa personnalité. Aujourd'hui plus que jamais, il détestait cet endroit, réceptacle de déceptions et de souvenirs amers qui s'accrochaient à son esprit pour le lester d'un profond sentiment de rancœur. Un agglutinement qui le pesait avec la détermination perverse d'une angoisse tenace refusant de quitter les pensées d'un insomniaque. Un ricanement acerbe dut lui échapper, car Fhalya lança dans son dos :

-Qu'est-ce que tu rumines encore, Riecyr ?

Loin d'être une accusation, son ton relevait du simple constat, de l'observation la plus stricte ; et de fait, il était forcé de l'admettre même si cette optique ne lui plaisait guère : il était occupé à ruminer, selon le terme exact employé par sa camarade. Refusant de lui donner véritablement raison, il ne pouvait non plus nier une évidence aussi palpable.

-Capitaine et seconde sont en cellule, et je devrais me réjouir ? rétorqua-t-il sèchement en se retournant pour lui faire face.

Ses courtes mèches argentées ondulaient sous l'effet du vent qui semblait l'accompagner constamment et sa peau cendreuse contrastait étrangement avec la luminosité reflétée par l'eau omniprésente d'Alma. Telle une aura chatoyante, l'éclat de la ville l'enrobait avec élégance, brillait dans ses yeux gris et étincelait sur les nombreux bijoux ornant ses oreilles. Un véritable nuage autour duquel les rayons du soleil perçaient. Une ombre grâce à laquelle on remarquait enfin la lumière.

-Non, mais ça sert à quelque chose de rester là, à te morfondre en regardant la mer ? l'interrogea-t-elle en désignant l'étendue d'eau d'un geste de la main.

Levant les yeux au ciel sans même essayer de lui cacher sa mimique exaspérée, le jeune homme toisa son interlocutrice avec sévérité. Il ne l'avait jamais appréciée ; depuis le jour où elle avait mis le pied sur les planches du navire, elle ne lui avait inspiré que naïveté et optimisme débordants. Des traits de caractère qu'il avait bannis de sa personnalité alors qu'il était enfant. Des notions qu'il avait oubliées après le décès de son père, lorsqu'il avait été forcé de reprendre l'entretien de la famille et l'éducation de son petit frère parce que leur mère avait abandonné l'idée de se redresser face à la douleur. Il ignorait entièrement le vécu de Fhalya, mais la vérité était qu'il ne voulait même pas le connaître. Une joie de vivre aussi solaire ne pouvait que refléter une enfance sans obstacle et sans souffrance, phénomène rare et inconcevable pour ceux nés dans un environnement dépourvu de tout privilège. Riecyr avait toujours rejeté viscéralement ces personnes qui croyaient que tous avaient la chance de grandir sans encombre, sans véritable douleur.

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