Chapitre 14

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Après avoir contemplé avec émerveillement certains points architecturaux et décoratifs à l'intérieur de l'Académie, Lola se trouva presque déçue de découvrir son aspect extérieur. En pierre grise, comme les autres bâtiments de la ville qu'elle pouvait apercevoir de l'endroit où elle se tenait, la façade semblait plutôt austère qu'accueillante. Des décorations en fer forgé ornait l'encadrement des fenêtres en ondulant autour de celles-ci, et leurs branches sinueuses se divisaient à intervalles aléatoires pour former de petites spirales. La lourde porte d'entrée en bois massif s'élevait fièrement et s'ouvrait à l'aide de sa poignée ronde et décorée de minces gravures gondolées. C'est une grosse école, quoi, songea-t-elle en essayant de se convaincre qu'elle n'espérait rien de plus spectaculaire.

En faisant volte-face, la jeune fille aperçut la mince forêt se massant non loin de l'Académie, celle qu'elle avait aperçue par la fenêtre, la nuit de son arrivée. Si elle avait semblé calme dans la pénombre, la luminosité de l'après-midi bien entamée éveillait les feuillages qui bruissaient sous le souffle du vent, et les oiseaux noirs aux reflets bleus qui perçaient la verdure virevoltaient dans le ciel, tournoyant dans le zéphyr et dansant avec les courants d'air pour former un ballet harmonieux. La plaine herbeuse s'étirant de l'orée des bois jusqu'au bâtiment paraissait vivante, tant les brins verts et les petites fleurs colorées s'agitaient en tous sens.

En se détournant vers l'océan, que la falaise surplombait, le sourire que l'adolescente arborait déjà s'élargit un peu plus. Le soleil, encore haut dans le ciel, étendait paresseusement ses rayons et glissaient sur la surface onduleuse de l'eau, reflétant sa lumière d'or sur les vigoureux remous. Lola s'approcha du bord et regarda vers le bas ; les puissantes vagues s'écrasaient contre la roche, si foncée qu'elle en était presque noire, et se rompaient en une pluie de diamants liquides avant de rejoindre l'immensité marine, passant de l'individualité brièvement acquise pour retrouver la collectivité réconfortante. Des centaines de perles aquatiques maintenant englouties et perdues parmi leurs sœurs.

Alors qu'elle leva ses yeux acier vers l'horizon, une bourrasque glissa sur ses joues sans délicatesse et s'engouffra dans sa chevelure noire. Un sourire illumina son visage et ses bras s'écartèrent d'eux-mêmes, comme pour embrasser l'air qui soufflait avec force et pour accueillir cette bouffée de pureté. Lola inspira la fraîcheur, l'authenticité, la simplicité de ces sensations. Elle ferma les paupières afin de profiter pleinement de la caresse de la nature, douce et rassurante ; et l'espace d'un instant, elle oublia.

Elle oublia que le monde qu'elle connaissait lui était inaccessible et qu'elle devait tout apprendre d'un univers dont elle ignorait l'existence encore quelques jours auparavant. Elle oublia que ses parents et son frère ne possédaient plus aucun souvenir d'elle et qu'elle ne les reverrait peut-être jamais. Elle oublia que la magie qu'elle développait semblait susciter de la frayeur dans son sillon. Elle oublia qu'elle se sentait comme une étrangère. Elle oublia que les maigres talents qu'elle possédait ne lui serait d'aucune utilité à Gwaohar. Elle oublia ses défauts flagrants. Elle oublia sa nervosité et son chagrin. Elle oublia. Elle s'oublia. Pour se fondre dans le vent.

Son esprit flâna au gré des courants d'air chauds sillonnant le ciel, appréciant la liberté, respirant l'espoir, se délectant de la sérénité. Le moment, suspendu dans le temps, semblait s'étirer à l'infini et se remodeler à volonté, comme les mailles d'une étoffe qui serait inlassablement tricotée et détricotée, rendant la conscience du temps qui s'écoulait impossible. Cette échappée dura-t-elle quelques secondes ou plusieurs heures ? Était-elle éphémère ? ou au contraire infinie ? Lola était incapable de décider – ou plutôt, elle n'en avait aucune envie.

Alors que l'intensité de ce dernier diminua, l'adolescente rouvrit des yeux humides de larmes et éclata de rire. Le contraste entre les perles salées glissant sur ses joues et la mélodie d'alégresse s'élevant sur la falaise, loin de rendre les deux manifestations dérisoires, ne faisait qu'accentuer la profondeur de ces émotions entrelacées et indissociables. La joie des découvertes renforçait la tristesse de ce qu'elle avait perdu, créant un paradoxe de sentiments que Lola ignorait pouvoir éprouver. Pourquoi ne s'apercevait-elle que maintenant de tout ce qu'elle avait possédé ? Comment arrivait-elle à se réjouir de ce qui lui arrivait ? Et pourtant, comment imaginer ne pas s'extasier devant la beauté naturelle qui s'offrait à elle ? Comment ne pas remercier les circonstances, aussi douloureuses soient-elles, qui avaient placé Raven et Kwal dans sa vie ?

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