32. fīnis

9 2 2
                                    

Quand elle rouvrit les yeux, Laureline était au cœur de l'arène.

    Le public produisait un boucan insupportable. Malgré l'animosité de ces hommes et de ces femmes, des deux espèces, l'humaine était plongée dans un étrange calme, vidée de toute émotion. Elle inspira profondément.

    Une partie d'elle-même n'assimilait pas encore le fait qu'elle allait de nouveau mettre sa vie en jeu, pour une grande récompense à la clé. L'esprit sectionné en deux, on aurait bien cru que Laureline serait prise d'une violente confusion sans précédent. Pourtant, elle ne se souvenait pas de ce qu'elle avait fait, ce matin, même si cela restait dans sa routine habituelle : se lever, s'habiller, se diriger vers la salle à manger, se remplir le ventre afin de tenir la journée, se préparer à l'heure du départ... tout cela lui avait échappé. Son corps avait agi sans ne rien demander à son cerveau. Elle avait comme repris ses esprits quand la herse s'était levée dans un couinement rouillé, lui donnant accès à l'arène.

    Laureline leva les yeux vers les gradins. C'était l'Enfer sur Terre. Les spectateurs étaient pris d'une fièvre insensée qui les faisait hurler comme des bœufs qu'on égorgerait. Certains tonitruaient le nom des quatre derniers participants – des voix perdues dans ce chaos sonore –, d'autres s'agitaient comme des possédés. Toutefois, dans cette discorde, des lumières surgissaient : l'humaine ne put s'empêcher d'esquisser un sourire en remarquant Lucas, noyé dans la foule, les bras croisés et le regard toujours grave. Il semblait entièrement rétabli. Tess n'était pas là pour l'accompagner. L'Horribilis fit un sourire en coin en levant son pouce en l'air, sans chercher à crier quelque chose. De toute manière, Laureline n'aurait pas plus l'entendre.

    À l'autre bout des gradins, Quentin faisait de grands mouvements des bras dans les airs pour attirer son attention, tout en souriant, en rigolant et en criant. À côté de lui, Thomas fixait l'arène d'un air absent, la tête légèrement baissée comme s'il méditait. Mais comment méditer dans un endroit pareil ? Elle adressa un furtif signe de la tête à l'Horribilis qu'elle avait affronté il y avait cela une semaine. Puis, la voix de monsieur Bleuzen attira son attention, ainsi que celle de tous les spectateurs, telle un fromage à la proie d'innombrables mouches.

    — MESDAMES, MESSIEURS ! tonitrua-t-il, ramenant le silence dans le Nouveau Colisée. Il poursuivit d'une voix tout aussi forte, sans s'empêcher de sourire à pleines dents : Nous y sommes enfin ! Ce jour tant attendu, qui a fait travailler les fantasmes des plus fous d'entre nous, est arrivé ! Mesdames, Messieurs, Hommes et Horribiles, j'ai l'honneur de vous annoncer que la finale du tournoi des Tandems Mixtes commence officiellement !

    Un nouveau torrent de cris et d'agitation. Monsieur Bleuzen leva les bras en l'air, sans cesser de sourire, et les abaissa lentement, ramenant le calme dans son mouvement tel un majestueux chef d'orchestre.

    Laureline remarqua à cet instant même qu'à ses côtés se trouvaient monsieur Lyraispaix et madame Colombus. Les yeux de son professeur alternait entre le centre du Nouveau Colisée et sa droite, où se trouvait un Julien encore plus nerveux que d'habitude. Le mâle sautillait sur lui-même en fixant anxieusement son homologue, tout en se tortillant les mains avec des mouvements répétés. Morgane ne faisait pas attention à lui : elle fixait le sol en marmonnant des phrases incompréhensibles, tout en époussetant les pans de son immonde robe verte.

    — Mais avant de sonner le début du combat, poursuivit le directeur du Nouveau Colisée avec entrain, j'aimerais que vous, mon très cher public, saluez mes deux invités d'aujourd'hui ! Mesdames, Messieurs... du bruit pour les extraordinaires – que dis-je ? Les légendaires ! – vétérans de l'arène, ceux qui ont entraîné nos finalistes de cette saison : la Sirène et l'Indomptable !

Laureline et le Nouveau ColiséeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant