2. occūrsus

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 Elle arriva à la gare juste avant l'aube. Laureline s'écroula dans un siège inconfortable, mais elle n'avait pas le temps de faire sa difficile. Elle avait marché au moins deux heures dans la nuit et le froid pour ne pas rater son train, car oui, à Belatelzia, il était impensable que fût construite une gare – le hameau ne dépassait même pas les deux cents habitants. Elle avait donc rejoint Veilos.

Le bâtiment était tout en briques, comme l'intégralité de la ville. Cette couleur de terre cuite omniprésente lui donna le surnom de « la Briquette » dans tous les recoins du pays, mais elle était aussi connue pour essayer de copier du mieux possible la capitale, avec ses grandes cheminées qui fumaient, ses immenses affiches colorées et ses routes pavées. Bien évidemment, Veilos faisait pâle figure face à Valiroma.

Laureline enleva ses bottes usées d'un brusque mouvement, avant de masser ses pieds engourdis dans un grognement. Ses chaussettes trouées dévoilaient des orteils qui avaient pris une couleur légèrement bleue. En espérant qu'ils ne tombent pas avant que le train arrive, se dit-elle en tuant un ricanement.

Elle avait embrassé ses sœurs, son père, avant d'affronter le froid mordant sous un ciel ténébreux et sans étoile. Le vent l'avait brutalisée, giflée, mais Laureline n'avait pas ralenti le moindre instant. La jeune femme regarda ses doigts : ils lui faisaient mal quand elle les bougeait, et quand elle avait finalement lâché sa mallette, elle crut bien que la peau de sa paume allait rester accrochée à la poignée. Elle regarda à travers une des grandes vitres de la gare, le ciel s'éclaircissait lentement, des inconnus – hommes comme Horribiles – remplissaient le hall désertique du bâtiment. Pas besoin de constater toutes ces valises pour savoir que Valiroma attirait pour sa splendeur, mais surtout pour le travail qu'elle proposait.

À Valiroma, les usines étaient nombreuses et occupaient la partie Ouest de la capitale. Traversée par le Mily, elle était devenue une plaque tournante du commerce maritime, et la flotte militaire du pays était devenue une fierté pour tous les habitants. L'occasion de voir ses gigantesques navires à vapeur de ses propres yeux, et plus seulement à travers les journaux délaissés qui erraient au sol de son village, l'excitait et la faisait s'impatienter davantage. La gare se remplissait de plus en plus, et les voix de tous les passagers animèrent rapidement l'endroit. Laureline plongea ses doigts dans une de ses poches, ils se refermèrent sur le bout de papier qui lui servait de billet. Veilos, en direction de Valiroma, aller simple à sept heures pétantes du matin. Il était six heures quarante-cinq, et ce furent les quinze minutes les plus longues et éprouvantes de sa vie.

Quand le train rentra en gare, elle retint son souffle. C'était la première fois qu'une pauvre campagnarde comme Laureline voyait un engin pareil : la locomotive était noire avec des renforcements dorées, et dégageait un impressionnant panache de fumée par ses multiples cheminées. Le contact répété entre les roues et les rails produisait un brouhaha spectaculaire. Avec ses voitures, le train avait l'allure d'un mille-pattes géant, l'engin s'arrêta dans un bruit strident et de la fumée s'échappa de sous le véhicule. Laureline resta plusieurs secondes là, à fixer le train, complètement obnubilée. Dans cinq minutes, le train repartirait. Les portes des voitures s'ouvrirent.

Sa place se trouvait dans la huitième partie du train, l'une des plus éloignées de la locomotive. Une certaine panique de ne pas trouver son siège la submergea un court instant. Laureline tomba au pur hasard sur sa cabine – numéro 58 –, et elle s'affala dans son siège – numéro 7 – dans un soupir soulagé. Il était six heures cinquante sept. La jeune femme logea son unique valise au-dessus d'elle, avant de regarder à travers la fenêtre rectangulaire de sa cabine. Il y avait quatre places. Elle était seule. Son cœur battait la chamade. Bientôt, bientôt.

Finalement, quelqu'un s'assit devant elle, Laureline le regarda. Elle sourit à cet Horribilis à la peau étonnamment sombre, il lui renvoya un sourire timide avant de baisser légèrement les yeux. Le train démarra, le cœur de la jeune femme tambourina. Ça y est. Je pars.

Laureline et le Nouveau ColiséeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant